Zoo Story : Le confort et l’indifférence
Pays de contradictions, les États-Unis sont un terrain fertile pour les dramaturges désirant critiquer les valeurs de leur société.
Pays de contradictions, les États-Unis sont un terrain fertile pour les dramaturges. Avec son manichéisme, ses inégalités, ses illusions et sa candeur, l’Amérique est une éternelle source de conflits. Et le conflit est le moteur du théâtre.
Nommez-moi un auteur dramatique américain, et je vous pointerai une critique des valeurs individualistes de la société américaine. Le théâtre d’Eugene O’Neill, de Tennessee Williams, d’Arthur Miller, de Tony Kushner ou d’Edward Albee – les plus grands dramaturges états-uniens du 20e siècle – pourrait se résumer à une entreprise: la critique du rêve américain.
Zoo Story en est un bon exemple. Ouvre de jeunesse d’Edward Albee, écrite à 30 ans (en 1958), cette courte pièce de l’auteur devenu célèbre dans les années 60 avec Qui a peur de Virginia Wolf? raconte la rencontre de deux New-Yorkais aux antipodes: Peter, cadre bourgeois, père de famille et intellectuel; et Jerry, jeune bisexuel paumé, sans amis ni famille, dépendant sexuel et probablement dépendant d’autres substances. Contre toute attente, Peter, assis sur un banc de Central Park, interrompra sa lecture pour écouter le sombre récit de Jerry.
Ce dernier a visiblement besoin de parler. Mais ses paroles sont un flot impossible à saisir. À la fin, Jerry demeure incompris, persuadé de la fatalité de son destin…
Le Théâtre Alambic, une compagnie fondée en 1999, a eu l’excellente idée de produire Zoo Story. Présentée quelques soirs seulement en janvier dernier, la pièce est reprise jusqu’au 24 novembre (les dimanches à 15 h et à 20 h; les lundis à 20 h) dans la salle intime de La Petite Licorne. Malgré la facilité de monter ce texte (deux acteurs, deux spots, un banc de parc… et le tour est joué!), Zoo Story a été peu vue au Québec. Sa dernière production professionnelle remonte à 1970, au TNM, avec Léo Illial et Jacques Galipeau; Paul Blouin a aussi réalisé une version télé en 1975.
Le metteur en scène (et cofondateur du Théâtre Alambic) Jean Boilard a renouvelé la traduction pour la rendre plus actuelle. Il a aussi dirigé Stéphane Archambault dans le rôle de Jerry, et Charles Préfontaine dans celui de Peter.
Sa mise en scène sobre laisse toute la place au texte et au jeu. Des deux interprètes, Archambault s’en tire beaucoup mieux. Le visage pâle et pas rasé, les yeux cernés, le regard fiévreux, le jeune comédien, dès son entrée en scène, nous fait croire à son personnage de marginal. S’il manque parfois de nuance (il a tendance à surjouer), il est sensible et touchant dans la peau de cet enfant mal aimé et perdu dans la jungle new-yorkaise. Stéphane Archambault (qui a joué dans des téléromans et qui est également chanteur au sein du groupe Mes Aïeux) a manifestement bien compris son personnage; c’est un acteur à surveiller.
Malheureusement, ce n’est pas le cas de son vis-à-vis, plus faible dans un rôle toutefois en retrait. Charles Préfontaine semble dépourvu d’écoute sur scène. Lorsqu’il réagit au récit du mal de vivre de Jerry, le comédien est figé, semblant transformé en statue de sel! Il n’y a rien "de poétique et de signifiant", pour reprendre le mot du metteur en scène, dans cette attitude corporelle; je n’y vois qu’une expression idiote qui atténue la portée du drame.
Jusqu’au 24 novembre
À La Petite Licorne