Antoine Laprise : La parole de Dieu
Antoine Laprise et son fidèle Loup Bleu se pointent le museau au Théâtre d’Aujourd’hui avec une adaptation pour marionnettes de la Bible, récompensée du Masque du meilleur spectacle lors de sa création à Québec. Rencontre avec celui qui tire les ficelles de cette ambitieuse relecture.
"Qu’est-ce qu’une fille va penser d’un gars, si elle aperçoit une Bible sur sa table de chevet?" Faites le test pour voir, il semble que les livres saints n’aient rien de sexy. C’est Antoine Laprise qui l’affirme, mais cela ne l’a pas empêché de se lancer dans l’adaptation (en compagnie de sa marionnette fétiche, le Loup Bleu, précise-t-il…) et la mise en scène d’une version pour marionnettes des écrits bibliques. Après Candide et Le Mahâbhârata, le Théâtre du Sous-Marin Jaune s’est donc plongé dans la Bible, pour en ressortir avec une création épique à petite échelle, qui éclaire le présent à la lumière du passé.
Comment faire tenir l’Ancien Testament, qui compte environ 2000 pages et 2400 personnages, dans un show de deux heures pour une quarantaine de marionnettes, sans que cela nécessite d’intervention divine? Le metteur en scène de La Bible a choisi de considérer l’oeuvre comme une bibliothèque, dans laquelle il a puisé ce qu’il voulait. Sans hésiter à s’en moquer au passage. "Il y a 1000 façons de raconter la Bible. J’ai pris le parti de suivre une ligne historique, de la Création jusqu’à la reconstruction de Jérusalem, au VIe siècle avant J.-C." Des choix, des choix, des centaines de pages de notes et encore des choix – "cruels!" – plus tard, le résultat est d’une étonnante simplicité. "L’objectif du spectacle n’est pas de transmettre la Bible, mais de la relire à notre façon. Le plaisir, c’est de faire le voyage, de découvrir. Bien sûr, cela reste une première lecture, c’est un texte que tu peux revisiter toute ta vie."
Côté pile, cette relecture mordante en apprendra tout de même beaucoup aux néophytes sur Job, Samuel, Jérémie et compagnie. Côté face, elle se fait critique, entre autres des emprunts de la Bible, avec un Noé exaspéré par un "Supersage", qui lui révèle que l’histoire du Déluge vient d’une vieille légende mésopotamienne. Le tout assaisonné d’humour et de quelques anachronismes, dont l’apparition d’un mini-Charlton Heston en Moïse armé et dangereux et une référence aux bombardements de l’Irak, "lieu de naissance de notre civilisation". Ouf!
Leçon d’humilité
Le narrateur du spectacle, et manipulateur du Loup Bleu, a amorcé l’entrevue par quelques mises en garde. "Ce n’est pas parce que la production est ambitieuse que le résultat est glamour. Y’a pas de pyrotechnie!" Évidemment. Les passagers du Sous-Marin Jaune sont des petits débrouillards, habitués de faire naître la fantaisie en miniature. Pour l’occasion, Marie José Houde a confectionné une quarantaine de marionnettes de différentes techniques, que les comédiens Lorraine Côté, Paul-Patrick Charbonneau, Guy-Daniel Tremblay et Jacques Laroche manipulent à vue.
En préparant le texte du spectacle, le nouveau papa (Darius a 6 mois) dit s’être senti comme un tisseur de tapis. "J’étais pogné avec un paquet de considérations simultanées, qu’il fallait entrelacer: les aspects historique, politique, religieux, la question technique, la traduction, etc. Et tout ça faisait un écheveau assez complexe. On a donc choisi de mettre tout cela sous la bannière de l’écriture, de l’importance de ce livre qu’est la Bible."
Interrogé sur les correspondances entre les grands enjeux d’hier et ceux de la société actuelle, l’initiateur du projet en remarque plusieurs, par exemple que les chrétiens demeurent des idolâtres, qui prient un saint lorsqu’ils perdent leurs clés. Et surtout, que "dans la Bible, il y a toujours un tiraillement entre les hyper croyants et ceux qui veulent juste vivre, un peu comme aujourd’hui. Après tout, en Amérique, on a bien George Bush et Michael Moore."
Cet ex-concurrent de la Course destination monde, qui a séjourné dans plusieurs pays musulmans – "ça a changé ma vie!" -, remarque que la Bible est avant tout un livre où des humains racontent des histoires à d’autres humains. "La Bible révèle comment on pensait, il y a très longtemps. Les prophètes étaient des fous de Dieu, mais aussi des critiques sociaux terribles. Ici, on a jeté la Bible avec l’eau du bain. On a fait un sain ménage d’accord, mais ça me fatigue d’entendre des gens branchés avoir du dédain pour la Bible, comme si la lire signifiait retourner au temps de nos grands-mères. Aujourd’hui, si tu es sexuellement open, tu ne peux pas lire la Bible! Pourquoi? La Bible, c’est nous. Il faut se l’approprier sans craindre pour notre liberté de moeurs…" À son avis, les Occidentaux ont beaucoup à apprendre de l’humilité qu’enseigne la Bible et qui, espère-t-il, se reflète dans un spectacle qu’il a voulu sans prétention.
"Et s’il y a des exégètes dans la salle, ils trouveront peut-être à redire, mais au moins, ils vont bien s’amuser…"
Du 5 au 23 novembre
Au Théâtre d’Aujourd’hui