C’est à 30 ans que quoi déjà? : Deux femmes en art
Durant une année et demie, la comédienne Manon Brunelle et la chorégraphe Estelle Clareton ont squatté des studios et même le salon d’amis compréhensifs, pour élaborer la performance de danse-théâtre C’est à 30 ans que quoi déjà? Une sorte de bilan intime et personnel conçu par deux rêveuses.
"J’ai envie de danser." Tout a commencé par cette phrase, que la comédienne Manon Brunelle a lancée à la chorégraphe Estelle Clareton durant les répétitions de la pièce Five Wolf Deavtov Circus. Les deux interprètes se connaissaient peu mais ont été frappées d’une sorte de coup de foudre artistique, qui les a poussées à s’intéresser l’une à l’autre pour se découvrir une terreur commune: la trentaine.
Durant une année et demie, elles ont squatté des studios, entre autres à l’École nationale de théâtre, et même le salon d’amis compréhensifs, pour élaborer la performance de danse-théâtre C’est à 30 ans que quoi déjà?
"Souvent, des gens disaient m’avoir vue sur scène, alors que c’était Manon. Même si on est différentes physiquement, on a une énergie similaire", amorce Estelle Clareton. À les voir installées bien droites sur leur tabouret, jambes croisées et cigarette à la main, on saisit tout de suite la ressemblance. "Nous avons compris qu’il y a deux façons d’avoir 30 ans, poursuit-elle. Tu peux être en accord avec toi-même, arriver à 30 ans et être éblouissant. Mais nous, on a 30 ans et on n’est pas heur… enfin, ce n’est pas qu’on soit malheureuses, mais disons qu’il y a des choses qu’on souhaite changer dans nos vies."
Vieillir, c’est apprivoiser la solitude, ont-elles découvert. "Nous avons des certitudes communes, souligne Manon Brunelle, comme d’être seule, de vieillir et de vouloir laisser quelque chose derrière nous." Sa compagne de jeu croit que c’est l’adolescence, et la vie en groupe, qu’elles tentent de quitter. "Manon a eu une carrière d’interprète impressionnante avec le Théâtre Ô Parleur et moi, j’ai passé huit ans chez O Vertigo. Pour la première fois, on prend la parole toutes seules, on dirige nous-mêmes notre projet."
Pour y parvenir, ces deux perfectionnistes ont passé de longues heures enfermées, la chorégraphe proposant des mouvements et la comédienne, des textes. De ce travail a émergé l’histoire d’une fille qui perd son nom, puis part à sa recherche dans un univers labyrinthique. Comme un cauchemar, coloré de touches d’humour. Jamais Estelle n’avait intégré autant de texte à ses performances… ni autant ri en répétition, pouffe-t-elle. "Grâce à Manon, je deviens un peu actrice, tandis qu’elle se révèle une danseuse douée, pour qui je ne me suis pas limitée." Leur travail est complété par la musique d’Éric Forget, les éclairages de Thomas Godefroid et les projections vidéo de Martin Leblanc.
"Avoir 30 ans, c’est loin d’être évident pour une femme, soupire Estelle. C’est l’apparition des premiers signes de vieillissement. Ce n’est pas une question d’esthétique, mais c’est dur de sentir que le compte à rebours est commencé. À 30 ans, on n’a plus envie des mêmes choses qu’à 20 ans, il faut se trouver de nouveaux rêves."
Il n’y aura que quatre représentations de cette coproduction du Musée d’art contemporain et de Création Caféine. Quatre petits tours et puis s’en vont, c’est bien peu quand on a bûché durant plus d’une année sur une création, sans récolter un rond, non? "J’ai appris qu’il ne faut pas trop s’énerver avec ça, conclut Estelle. On ne sait jamais, il suffit parfois d’une personne dans la salle pour que ça déboule. À partir de maintenant, le show ne nous appartient plus, c’est à lui de faire ses preuves…"
Du 6 au 9 novembre
À la salle Bervery Webster Rolph
Au Musée d’art contemporain