Silence 2 : La facture
Après avoir mis en scène Shakespeare, Hoffmann, Tchekhov et consorts, Alexandre Marine monte enfin… Alexandre Marine.
Après avoir mis en scène Shakespeare, Hoffmann, Tchekhov et consorts, Alexandre Marine monte enfin… Alexandre Marine. Si le metteur en scène s’y fait auteur pour la première fois, sa nouvelle pièce s’inscrit tout à fait dans la continuité de cette "Deuxième Réalité" chère à son théâtre. Sorte de suspense métaphysique aux accents burlesques, Silence 2 se révèle une étrange allégorie fantastique, qui intrigue et séduit.
La création confronte un réalisateur qui vient de remporter un prix dans un obscur festival à un mystérieux visiteur – lequel n’a rien à envier à celui d’Eric-Emmanuel Schmitt. L’énigmatique admirateur, dont le nom signifie "le monde", renvoie l’artiste à un étrange épisode de son passé, six ans plus tôt: sa rencontre avec une ensorcelante Néerlandaise dans les coulisses du Festival des Films du Monde – un événement "médiocre", précise la belle…
Représentante du "Festival des minorités sexuelles d’Amsterdam" (!), Catherine avait alors proposé au cinéaste en herbe d’attirer des critiques influents à la projection de son film d’étudiante. Mais n’offrait-elle pas aussi quelque chose de beaucoup plus sinistre à l’artiste avide de gloire?…
Dans cette fable d’inspiration faustienne, Marine pose des questions d’ordre philosophique et moral sur la nature de l’acte artistique, et le prix de la réussite: qu’est-ce que l’artiste engage dans son art? Que doit-il perdre pour aller jusqu’au bout, et assurer l’immortalité de son oeuvre? Le prix peut en être fort élevé…
Le cinéaste ne connaîtra le succès qu’après avoir sacrifié à la violence et aux effets racoleurs qui sont les mamelles du cinéma contemporain. Dans un épisode comiquement égrillard, la pièce trace un surprenant raccourci entre cette débauche et les idées du marquis de Sade (Vitali Makarov), pointé du doigt comme ayant eu "la plus grande influence sur le cinéma". En même temps, le contenu mièvre de la première mouture du film semble suggérer que les bons sentiments ne font pas du grand art…
Ambiguë ou pas, cette réflexion, qui ne se laisse peut-être pas cerner si facilement, se déguste d’abord comme une intrigue prenante, divertissante et généralement bien ficelée – hormis une couple d’effets de mise en scène un peu gros. Admirateur d’Hoffmann et de Boulgakov, Alexandre Marine a bien appris de ses maîtres. Multipliant les pirouettes de tonalités, sa pièce à tiroirs va et vient entre le présent et le passé, le fantastique et les pointes comiques, la texture de la réalité et le climat du cauchemar.
Le décor de Valentina Komolova ne paie d’abord pas de mine, mais un rideau de scène dévoile ingénieusement une ouverture en forme d’écran de cinéma. Les éclairages contrastés, une musique insolite signée Dmitri Marine, et la talentueuse distribution suffisent à créer l’illusion.
Savoureusement retors, Igor Ovadis impose sa forte présence. Karyne Lemieux joue avec beaucoup d’aisance sur une étrangeté détachée. Paul Ahmarani est crédible en créateur déboussolé qui s’enfonce dans un cauchemar où il pourrait bien affronter sa conscience.
Le comédien, lui, ne pourra certes pas être accusé d’avoir succombé aux sirènes du succès facile. Rappelons qu’il a abandonné le très visible rôle-titre de Kean dans une grosse production du TNM pour mieux se consacrer à cette pièce jouée 10 fois au petit Théâtre La Chapelle! Disons qu’il a eu du flair…
Jusqu’au 3 novembre
Au Théâtre La Chapelle