Hippo-campe : Songe en équilibre
Dormir au théâtre? Rêver plutôt! Jusqu’au 23 novembre, les insomniaques s’amusent au Théâtre de Quat’Sous, où l’on peut actuellement faire les plus beaux rêves en ville…
Dormir au théâtre? Rêver plutôt! Jusqu’au 23 novembre, les insomniaques s’amusent au Théâtre de Quat’Sous, où l’on peut actuellement faire les plus beaux rêves en ville, à condition de garder les yeux grands ouverts. Avec Hippo-campe, les créateurs Éric Jean et Pascal Brullemans nous entraînent dans leur sillage entre les murs d’un appartement où des fantômes remontent à la surface, par crainte de périr noyés dans l’oubli. Une expérience théâtrale qui interroge la mémoire et caresse les sens. Ça fait du bien.
Depuis plus de cinq ans, le metteur en scène Éric Jean et l’auteur Pascal Brullemans marchent dans la même direction. Droit devant: l’inconscient, le rêve, l’illusion. Après Marianne Vague et Camélias, le tandem accouche, avec Hippo-campe, de sa création la plus aboutie. Remercions pour cela Wajdi Mouawad, directeur du Quat’Sous, qui a eu l’audace de donner carte blanche à trois auteurs cette saison, dont Éric Jean auquel il a permis de réaliser un vieux fantasme: inventer un spectacle en collaboration avec des comédiens et des concepteurs, en passant plus de deux mois à répéter sur scène.
Ensemble, ils se sont inspirés de l’appartement aménagé par la scénographe Magalie Amyot pour "écrire des images" de couleur écarlate et faire naître des ambiances oniriques et troublantes. Peu à peu, ce sous-sol kitsch meublé d’un piano, d’un lit et de deux fauteuils de velours est devenu le personnage principal de leur histoire, sorte de catalyseur de rêves, de passerelle entre le passé et le présent. Un espace doté d’une mémoire, où les murs ont des oreilles…
Ceux que le cinéma de David Lynch horripile feront peut-être mieux de détaler devant cet Hippo-campe très, très lynchien. Éric Jean n’a jamais fait de mystère de l’influence de l’art cinématographique sur sa façon de penser le théâtre; il invite ici le public à se laisser aller, sans chercher à donner un sens à tout ce qu’il voit.
Pour se rapprocher de l’université, Carl (Dominic Anctil) emménage dans un appartement pour lequel sa mère, Suzanne (Muriel Dutil), a eu le coup de foudre. Après avoir conclu l’entente avec le propriétaire Adam Caspariev (Sacha Samar), il reçoit la visite d’une amie de ce dernier, l’affectueuse prostituée Melissa (Dominique Quesnel), puis de sa collègue de classe Nancy (Anne-Sylvie Gosselin). Deux fantômes se pointent aussi: Laura (Isabelle Lamontagne), pianiste, et son frère Romuald (Gaétan Nadeau), tous deux employés du bar clandestin qui occupait les lieux en 1966. Carl est troublé de se réveiller tous les matins vêtu d’une robe chinoise dont il ne connaît pas la provenance, tandis que sa mère, amnésique et narcoleptique (elle s’endort n’importe quand, n’importe où), commence à retrouver le chemin de son passé.
Loin de se résumer à cet enchevêtrement de situations bizarres, Hippo-campe est une expérience sensorielle unique où la musique (Mathieu Gatien), les éclairages (Étienne Boucher) et les costumes (Stéphanie Cloutier) jouent un rôle de premier plan. Une fascinante excursion dans le labyrinthe de la mémoire en compagnie de comédiens inspirés. Parmi eux, Sacha Samar et Dominique Quesnel composent des personnages particulièrement savoureux.
Tout au long de la soirée, des jambes descendent du ciel, des personnages disparaissent par des trappes, et des portemanteaux se transforment en passage secret. Grâce au travail concerté des créateurs réunis pour rêver ce spectacle, la magie opère.
Jusqu’au 23 novembre
Au Théâtre de Quat’Sous