Claudine Mercier : Drôle de dame
Après trois ans de silence, CLAUDINE MERCIER, l’une des plus exubérantes humoristes au Québec, revient sur scène avec un tout nouveau spectacle. Femme de tête et de coeur, la drôle de dame parle avec excitation de ce retour sous les feux de la rampe, égratignant au passage le star-système québécois, les politiciens, et ceux qui les élisent. Tour d’horizon.
"J’aimerais que le texte soit gentil", implore d’entrée de jeu une Claudine Mercier méfiante. Bien vite rassurée quant à la pureté de nos intentions, la seule imitatrice du Québec, gagnante de trois Olivier en 1999 et du Félix du meilleur spectacle d’humour l’année précédente, se dévoile, le sourire aux lèvres, alternant loufoqueries et sérieux selon ce que le sujet commande. La quarantaine assumée, affichant ses choix de vie sans pudeur, celle qui se montrait d’abord craintive se révèle charmante, enjouée, mais aussi lucide quant aux implications de son métier et aux contraintes du star-système québécois.
Partir
Absente du monde du spectacle et de son cirque médiatique au cours des trois dernières années, Claudine Mercier, qui a énormément tourné au Québec en 12 ans de carrière, ressent une crainte justifiée à l’idée de remonter sur scène après une si longue période d’accalmie. "C’est un risque que j’ai pris de délaisser la scène durant un si long moment", confie-t-elle entre deux éclats d’un rire typé. "Lorsque tu n’es pas devant les feux de la rampe, l’angoisse d’être oublié mine ta confiance, c’est vrai, et cela même pour les superstars comme Céline… D’autant plus que l’amour échangé avec la foule durant les spectacles n’est plus présent. La seule solution qui s’offre à toi dans ces moments en tant qu’artiste, c’est de revenir avec quelque chose de bon, peut-être même de meilleur, pour reprendre ainsi ta place."
Partie l’été dernier à la découverte des petites salles de Strasbourg, Marseille et de bien d’autres villes européennes avec l’idée de se refaire la main, de replonger dans cette vie de clown bohème qu’elle aime tant, Claudine Mercier doute cependant qu’elle soit taillée pour le marché français: "La série de spectacles que je viens de faire en Europe m’a permis de me refamiliariser avec la scène et ses exigences. Évidemment, il a fallu adapter une bonne partie des gags, mais dans l’ensemble, la structure était la même. Au cours de ce voyage, j’ai paradoxalement compris que l’humour est à la fois universel et que les nuances entre les différentes cultures nous amènent souvent à relativiser les choses. En fait, je retiens surtout qu’on est ben chez nous…"
Anonyme là-bas, mais star de l’humour ici, Claudine Mercier s’inscrit d’ailleurs en faux devant les exigences surhumaines du glamour et le vedettariat: "Je n’aimerais pas tellement que ma vie devienne un jour comme celle de Céline Dion… Les tournées interminables, les paparazzis à tes trousses, l’intimité bafouée constamment, ce ne sont pas des trucs faits pour moi. J’aime simplement rire et faire rire. De toute façon, je serais incapable de ne jamais prendre de distance avec mon métier et j’ai comme principe que c’est lorsqu’on commence à être capable de rire de quelque chose qu’on peut vraiment s’en détacher."
Revenir
Mine d’or pour l’industrie du divertissement, les tournées des professionnels de l’humour sont maintenant de loin les plus populaires aux guichets des salles de spectacles du Québec, tous genres confondus. Mais n’est pas millionnaire de l’humour qui veut. Le succès d’un spectacle reposant avant tout sur un matériel étayé et un sens aigu du rythme. Confiante, Claudine Mercier croit détenir les deux: "Dans le nouveau spectacle, j’ai un nouveau personnage que j’affectionne particulièrement, c’est une vendeuse de disques complètement blasée, vous verrez; les choses qu’elle dit sont tordantes… Mais le paroxysme du spectacle est dans la seconde partie, alors que je change neuf fois de costume avec l’aide de deux personnes pour une série d’imitations de chanteuses. Je passe ainsi de Madonna à La Bolduc en passant par Édith Piaf et Liza Minelli", explique l’amusante bête de scène, faisant monter son degré d’excitation d’un cran lorsqu’elle aborde le sujet de son nouveau spectacle.
Heureusement pour nous, cette soif de renouveau n’exclut en rien le retour de caricatures attendues. Celle qui nous fait marrer depuis 12 ans avec son hilarante imitation de Lise Watier continue en effet d’exploiter ce personnage de cosméticienne qu’elle a cependant placé dans un contexte particulier qui agacera assurément la principale intéressée. "Évidemment, je suis en bons termes avec Lise Watier. Elle avait bien aimé les spectacles précédents et mes imitations. Mais pour le nouveau show, je ne suis pas tellement certaine qu’elle appréciera le numéro dans sa totalité… Dans cette nouvelle imitation, elle est passablement soûle en s’adressant au public! Et les gens embarquent à fond, c’est un des numéros qui marchent le mieux dans le show. Pourquoi? C’est à cause du contre-emploi, du décalage entre la Lise Watier toujours très classe et la Lise Watier qui se laisserait aller avec un petit verre dans le nez…"
Même dans l’utilisation de valeurs sûres, demeure cette idée de renouveau, de remodelage, de changement de vision. Mais l’imitatrice n’aurait-elle pas envie, suivant toujours cette voie évolutionniste, d’incarner d’autres visages et d’autres voix, plus près des intérêts de la génération MusiquePlus, par exemple? "J’aimerais bien imiter Bjork ou Nelly Futardo dans mes spectacles. J’ai déjà essayé d’intégrer des chanteuses plus marginales, mais c’est toujours le même problème; je perds la moitié de la salle…" Et lorsqu’on demande à l’humoriste de décrire ce public, elle s’avance, tergiverse, et avec l’hésitation des plus prudents politiciens, lance finalement: "Le public qui vient voir mon spectacle est un public varié… Difficile à décrire ce qui le distingue spécifiquement de celui des autres humoristes, mais une chose est certaine, avec mon nouveau spectacle, mon public est appelé à s’élargir", conclut-elle, confortée dans cette affirmation par l’appui des critiques, unanimes à propos de cette nouvelle proposition de Claudine Mercier considérée comme la meilleure des trois.
Déjeuners et politique
À l’image des humoristes de sa génération, peu friands des sujets à caractère politique et social, Claudine Mercier n’a jamais vraiment envisagé d’emprunter cette voie, de loin la moins fréquentée par ceux qui font rire. Ce choix de ne pas traiter certains sujets n’empêche cependant pas l’humoriste d’agir concrètement en société, ni d’avoir une opinion sur l’état des choses. Claudine Mercier, la citoyenne, est ainsi porte-parole, auprès du chanteur Sylvain Cossette, du Club des Petits Déjeuners, organisme qui répond à un besoin fondamental pour plusieurs enfants de la région métropolitaine. Et concernant les politiciens, la rigolote quarantenaire s’avère plutôt caustique, voire sévère: "J’écoute les nouvelles à la télé et je trouve que les politiciens perdent et nous font perdre beaucoup de temps. Prenons le dossier de la crise dans les hôpitaux au Québec; peu importe la prochaine campagne, aux élections plusieurs voteront encore pour la moins pire des options qui nous sont offertes. J’ai le malheureux sentiment que cela fait très longtemps que nous avons eu de bons politiciens. Mais les mériterions-nous de toutes façons?"
Rire rose
Les plus cyniques trouveront à dire que la politique et l’humour sont intimement liés. Deux métiers qui consistent à épater la galerie en quelque sorte, deux boulots qui sont toujours, malgré le travail du temps, l’apanage des hommes. Ou ne serait-ce là qu’un grossier préjugé? Les admissions à l’école nationale de l’humour tendraient à démontrer le contraire, un écart plus que significatif entre les deux sexes en faisait foi. Qu’en pense Claudine Mercier? "Souvent lors d’entrevues, on essaie d’entretenir le mythe que c’est toujours plus difficile pour une femme que pour un homme en humour. Personnellement, je ne crois pas que ce soit plus ardu pour l’un ou pour l’autre des deux sexes. Peu importe qui tu es, le genre d’humour que tu fais, la seule et unique façon de t’en sortir est d’offrir un bon spectacle. Oui, le public est sans pitié pour les artistes et c’est dans l’ordre des choses. Ton seul salut en tant qu’artiste est d’être bon!"
Du 14 au 16 novembre
Au Grand Théâtre
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