La Bible : La divine comédie
Scène

La Bible : La divine comédie

Il y a plusieurs siècles, on aurait sans doute brûlé Antoine Laprise et sa bande de joyeux lurons pour pareil traitement "hérétique" du livre sacré. Aujourd’hui, on ne peut que saluer leur jouissive lecture de La Bible

Il y a plusieurs siècles, on aurait sans doute brûlé Antoine Laprise et sa bande de joyeux lurons pour pareil traitement "hérétique" du livre sacré. Aujourd’hui, on ne peut que saluer leur jouissive lecture de La Bible, qui remet à l’avant-scène, d’ô combien ludique façon, un monument essentiel de la culture occidentale, largement tombé en désuétude ici. Déjà avec Candide, le Théâtre du Sous-Marin Jaune nous avait convertis à sa manière: revoir de grands textes à l’échelle marionnettique, avec l’iconoclastie et la parodie propres au regard contemporain.

Il y a pourtant une base sérieuse au spectacle présenté au "Théâtre du Jourdain" (pardon, d’Aujourd’hui), deux ans après sa création à Québec. "La Bible pose les bonnes questions, dont la principale: comment vivre?", conclut le narrateur, le futé Loup bleu (alias Antoine Laprise). De l’amusant prologue à l’astucieux épilogue, le sagace canidé expose intelligemment les enjeux de l’Ancien Testament. De la Genèse à la reconstruction de Jérusalem, La Bible retrace chronologiquement les grandes lignes de la longue errance du peuple hébreu.

Le Loup philosophe se distancie régulièrement du récit pour faire des raccourcis dans la narration, jouer les pédagogues – carte à l’appui -, remettre certaines pendules à la nouvelle heure historique, ou introduire des ébauches de réflexion. "Dieu serait-il contre la civilisation?" interroge-t-il à l’issue de la fable de Caïn et Abel, le meurtre honni du sédentaire par le nomade.

La compagnie de la Vieille Capitale n’a pas pour autant pris les Saintes Écritures pour parole d’évangile: les élans irrévérencieux y voisinent avec une illustration plus littérale, le respect avec une dérision de potache. Dans la scène où Job hurle sa révolte contre l’injustice du Dieu qui s’est acharné sur lui, on laisse entendre toute la beauté du texte. Parfois, la folie prend plutôt le dessus, comme dans cette hilarante querelle entre trois prophètes…

Même si on saute moult épisodes (comme en témoigne l’ingénieuse litanie des marionnettistes qui décrochent de leurs rôles pour se plaindre des nombreux passages laissés en plan), ce spectacle inventif souffre de quelques longueurs, surtout en première partie. Mais la seconde regorge de trouvailles. Beaucoup plus amusant que L’Évangile en papier

Petits bonshommes en pâte à modeler, silhouettes de carton, créatures d’étoffe comiquement suspendues à un visage humain: la quarantaine de marionnettes conçues par Marie José Houde empruntent toutes les techniques et rivalisent d’inventivité. Elles sont manipulées avec beaucoup de verve par Paul-Patrick Charbonneau, Lorraine Côté, Jacques Laroche et Guy-Daniel Tremblay. Des comédiens avec la main de Dieu…

Spectacle bricolé avec des accessoires de fortune et beaucoup d’imagination, La Bible ne redoute ni les clins d’oeil anachroniques (allusions ironiques à la guerre du Golfe), ni les influences diverses. Moïse le sauveur y devient Charlton Heston le matamore armé, toujours prêt à tirer au nom de Dieu…

Grâce à ce joyeux cours biblique en accéléré, le profane (re)découvre combien l’Ancien Testament est bourré de péripéties, de batailles, de massacres – on extermine les Cananéens pour s’établir sur leurs terres -, de dogmatismes religieux. Plus ça change…

Jusqu’au 23 novembre
Au Théâtre d’Aujourd’hui