Le Misanthrope : de Molière
Scène

Le Misanthrope : de Molière

La critique est une activité qui vous attire peu d’amis. Coupé du monde par sa franchise caractérielle, le Misanthrope de Molière en sait quelque chose. Mais comment dire autrement quand un sonnet est mauvais… ou une performance d’acteur peu convaincante? Voilà le dur dilemme auquel nous expose cette pièce de Molière…

La critique est une activité qui vous attire peu d’amis. Coupé du monde par sa franchise caractérielle, le Misanthrope de Molière en sait quelque chose. Mais comment dire autrement quand un sonnet est mauvais… ou une performance d’acteur peu convaincante? Voilà le dur dilemme auquel nous expose cette pièce de Molière…

Ce Misanthrope est déjà le troisième en 10 ans à avoir les honneurs d’une scène de répertoire montréalaise (mais le tout premier de l’histoire du Théâtre Denise-Pelletier). Il faut croire que cette comédie noire, brillamment écrite, trouve un écho particulier dans notre société des apparences. Gageons que le public ado, que dessert avant tout la compagnie, pourrait profiter du portrait que trace Molière de ce personnage riche et complexe: un homme idéaliste et intransigeant emporté par une insoutenable quête de vérité, qui refuse l’hypocrisie et les compromissions de sa société.

Encore faut-il proposer un Alceste convaincant. Avouons-le franchement: le principal problème de cette production du Misanthrope, c’est… le Misanthrope lui-même. Pierre Chagnon apparaît comme un choix discutable. Le comédien multiplie les colères et les éclats de voix, mais les émotions ne traversent pas la rampe. Jamais ne suis-je parvenue à croire à la farouche sincérité de son personnage, qui paraît plus pompeux que brutalement honnête – une franchise impitoyable que doit parfois, hélas, exercer le critique…

Dans l’emportement déclamatoire du début ou dans le calme final de celui qui a décidé de se retirer du monde, Chagnon ne parvient pas à évoquer le tourment d’Alceste. Qui plus est, la lourdeur de son organe vocal dessert plutôt les vers de Molière, trop souvent indistincts dans sa bouche.

C’est pourtant la clarté et la sobriété que semble avoir privilégiées la metteure en scène Françoise Faucher en transférant la pièce à l’époque romantique, afin d’échapper aux flaflas de la fin du 17e siècle. Le sobre salon conçu par Marcel Dauphinais possède un petit caractère moderne, et les costumes de Mérédith Caron habillent élégamment les comédiens.

Autrement, ce spectacle sans point de vue très affirmé enfile les scènes avec un bonheur inégal. L’entrée en scène de Carl Béchard en ridicule Oronte sauve l’exposition de l’ennui. Le geste ample, l’intonation affectée, le comédien arrache sans peine les rires. Du pur Béchard. À l’inverse, le duo de marquis vaniteux incarné par Sébastien Delorme et un Cédric Noël méconnaissable évite la caricature, mais y perd un peu en drôlerie.

L’amusant échange de "bitcheries" – sous le couvert de protestations d’amitié – entre Arsinoé et Célimène ne manque pas de piquant. Sophie Faucher donne à la première, coquette déguisée en grenouille de bénitier, d’efficaces poses suggestives quand elle minaude avec Alceste. Catherine Florent campe une Célimène mutine, assez brillante mais extrêmement légère. Mais la comédienne dit le texte de façon limpide. Et son personnage s’étoffe en fin de course, tenant son bout face à un Alceste passionné, dans une scène passablement violente.

Soulignant la solitude désormais échue à la belle, la conclusion rend tardivement sa profondeur dramatique à ce texte perché entre satire et gravité: prise au piège de ses mensonges médisants, Célimène revient seule sur scène, sorte de dame aux camélias abandonnée dans son salon mondain déserté.

Mais un Misanthrope sans Alceste, c’est quand même insuffisant…

Jusqu’au 30 novembre
Au Théâtre Denise-Pelletier