René-Daniel Dubois Kean : L'homme révolté
Scène

René-Daniel Dubois Kean : L’homme révolté

Avec Kean, sa première mise en scène pour le Théâtre du Nouveau Monde, RENÉ-DANIEL DUBOIS s’attaque à un personnage plus grand que nature qui, comme lui, carburait à la révolte. Douce colère.

Pour sa mise en scène de Kean, une pièce sur la gloire et le déclin d’Edmund Kean, écrite par Alexandre Dumas en 1836, trois ans après la mort de l’acteur anglais réputé pour ses rôles shakespeariens, René-Daniel Dubois a choisi l’adaptation de Jean-Paul Sartre, datant de 1953, avec quelques coupures de style et l’ajour d’un prologue.

"C’est une pièce sur le romantisme, dit Dubois, mais pas le romantisme tel qu’on le voit en général. L’image de folie et de démesure que les gens ont aujourd’hui du romantisme est fausse. Elle a même été inventée par ses ennemis. Le romantisme est d’abord un mouvement politique, une révolution culturelle qui a suivi la Révolution française."

C’est aussi un mouvement pour la modernité, un rejet du classicisme. Si Dumas (et Dubois) s’est intéressé à Kean, c’est parce qu’il a inventé l’acteur moderne en redéfinissant radicalement les règles du jeu théâtral très figé à l’époque. Malgré un physique ingrat, Edmund Kean voulait devenir acteur. Avant de jouer dans de vrais théâtres, il sera saltimbanque dans des cirques. Il fait ses débuts à Londres, en 1814, dans le rôle de Shylock, dans Le Marchand de Venise (c’est d’ailleurs lui qui, plus tard à Paris, fera découvrir Shakespeare aux Français).

"En six ans, Kean va déclasser tous les grands acteurs anglais de son époque, raconte le metteur en scène. Mais Kean s’est rendu au sommet de son art sans se faire accepter des nobles qui louangeaient sa carrière. Et il n’était pas plus à l’aise avec les gens de son milieu qui le traitaient comme un noble. Toute sa vie, il va souffrir de cette dualité."

Au fond, l’histoire de Kean, ce roturier qui fréquentait les princes, n’est pas nouvelle. C’est celle de l’humain qui veut abattre les cloisons entre les diverses couches sociales. Deux siècles plus tard, Dubois estime que, malgré les apparences, les couches sociales sont toujours aussi étanches que dans l’Angleterre de George IV. "Les gens peuvent difficilement cacher leur statut social. Ne serait-ce que de la façon qu’ils s’expriment. Quand tu écoutes parler Pierre Bourgault, par exemple, tu sais tout de suite qu’il a étudié avec des curés…"

Le monde est romantique
Le Petit Robert définit le romantisme, entre autres choses, comme une "esthétique de la liberté qui refuse les règles formelles et les conventions en privilégiant l’expression personnelle". C’est en cela que Kean, Dumas, Sartre et Dubois se rejoignent. "Tout ce qui se réclame de l’humanisme depuis passe souvent par le romantisme, explique l’auteur de Being at Home with Claude. Le romantisme représente aussi la découverte du monde intérieur, de son immensité: on affirme pour la première fois en Occident que le monde intérieur peut être aussi vaste que le monde extérieur. C’est une révolution qui ne plaît pas à tout le monde. Les romantiques seront accusés d’être une bande de mégalomanes, d’égocentriques."

René-Daniel Dubois a beau dire qu’il ne s’identifie pas à Kean, mais plutôt à son combat artistique, voire politique, il ne lui est pas étranger. Kean, ce "génie rebelle, prodigieusement orgueilleux et ambitieux", vivait en représentation sur scène comme dans la vie. Lui aussi.

Que ce soit en entrevue au Point, dans une conférence à l’université, à la radio ou dans les journaux, il aime répandre ses opinions controversées. "L’artiste a le devoir de dialoguer avec sa société", croit-il.

Son intelligence, aussi vive que sa parole, est un grand théâtre dans lequel Dubois se perd parfois. Pour l’artiste, l’intelligence n’est pas le contraire de l’émotion. "Pour moi, ce sont les deux facettes d’une même chose. Quand il me vient une bonne idée, j’ai une grande émotion qui monte en moi."

Pour cette première collaboration avec le TNM à titre de metteur en scène, Dubois dirige Jean Asselin dans le rôle-titre, de même que Jacinthe Laguë, Jean Marchand, Jean-Louis Roux, Martine Francke, Luc Chapdelaine et quatre autres comédiens. Pour la conception du spectacle, il a emmené avec lui sa "famille" de l’Espace Go, où il a souvent travaillé ces dernières années: Ginette Noiseux aux costumes, Guy Simard aux éclairages, Gabriel Tsampalieros au décor, Michel Smith à la musique. Finalement, la danseuse Margie Gillis a agi comme conseillère au mouvement.

Les 19 et 20 novembre
À la Salle Albert-Rousseau
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