Anima : La condition inhumaine
Scène

Anima : La condition inhumaine

MICHEL LEMIEUX et VICTOR PILON ont développé au fil des ans une véritable expertise dans le domaine des projections virtuelles. Mais avec Anima, le nouveau spectacle technologique créé par le tandem, une dimension manque toujours à l’appel: l’humanité.

Le nouveau spectacle technologique signé par Michel Lemieux et Victor Pilon ouvre sur une question fascinante: que reste-t-il d’animal chez l’être humain, à l’heure de la technologie triomphante et alors qu’on repousse sans cesse les limites de la nature? Dans Anima, ces spécialistes du virtuel explorent donc la dualité entre le corps et l’esprit, la biologie et la technologie…

Le tandem de la compagnie 4D Art est lui-même un adepte de l’hybridité: Anima relève à la fois de la performance musicale, des nouvelles technologies, de la danse, des arts visuels, du théâtre, du cinéma… Créé en juin dernier pendant les Jeux du Commonwealth à Manchester, le spectacle "mixmédia" présente jusqu’à samedi ses créatures de chair et ses projections virtuelles sur la scène de la Fonderie Darling – une ancienne usine reconvertie en espace artistique, sise dans la Cité du multimédia. Un voyage "tant physique qu’onirique", qui m’a malheureusement laissée sur le quai de la gare…

Anima s’inspire d’une entrevue accordée pendant les années 90 par Desmond Morris, l’auteur du fameux Singe nu, sorte de traité anthropologique de l’Homme, ce bipède savant dont la dimension humaine ne constitue peut-être pas la meilleure part de lui-même. Le brillant anthropologue y souligne que l’homme a inventé le viol, la torture et la coopération pour mieux se faire la guerre, et la religion pour contrer son effrayante conscience de la mort… Excusez du peu.

Quelques extraits de sa voix vivante et très allumée sont intégrés dans la trame sonore tels des leitmotive. C’est le seul texte qui vienne éclairer cette succession plutôt onirique de tableaux essentiellement physiques, muets si on fait exception d’une bande sonore (oeuvre de Lemieux et de Maxime Morin), composée notamment de halètements, de sons inarticulés et des vocalises du personnage central incarné par le performer Michel Lemieux – de retour sur scène après 12 ans d’absence.

Les quelques citations arrachées à Desmond Morris fournissent certains thèmes et pistes: la notion de territoire personnel qui nous distancie les uns des autres, la mort et l’au-delà, la foi religieuse qui suscite des affrontements agressifs, dans une séquence très évocatrice… Autrement, tout ça reste assez mince, embryonnaire, plus suggéré que véritablement développé.

Spectacle visant davantage à bombarder les sens qu’à fournir un sens clair, Anima confronte sur scène le virtuel et l’organique, la mélopée lancinante d’un trombone live joué par le musicien Tom Walsh et les vibrations assourdissantes d’une musique techno, les corps convulsifs et les projections spectrales. Mais ce choc des contrastes suffit-il à soutenir l’intérêt pendant 75 minutes?

Michel Lemieux et Victor Pilon ont développé au fil des ans une véritable expertise dans le domaine des projections virtuelles. L’aspect visuel d’Anima est comme toujours fort impressionnant, mystifiant même pour le profane avec ces êtres fantomatiques qui apparaissent et se dissolvent comme par magie. Difficile de ne pas être séduit, un court instant, par la beauté de ces visions: comédiens en chair et en os dansant avec une ombre qui flotte tel un spectre autour d’eux, offrant un jeu de miroir avec un double virtuel, ou corps réel traversé par toute une humanité virtuelle… Les hologrammes semblent s’intégrer mieux que dans l’oeuvre précédente du duo, Orféo, peut-être parce qu’ils sont plus discrets.

Anima sollicite beaucoup le corps. On baigne ici dans une physicalité proche du pulsionnel, en chorégraphies brutes esquissées par le danseur Pierre-André Côté et l’énergique Noémie Godin-Vigneau. La très polyvalente comédienne ne ménage aucun effort, tantôt rampant comme un animal, tantôt semblant accoucher debout. Une performance corporelle plus que méritoire.

Le territoire de l’animal se marie donc au virtuel dans le cinquième effort conjoint de Michel Lemieux et Victor Pilon. Mais en ce qui me concerne, une dimension manque toujours à l’appel: on (l’auteure de ces lignes, en tout cas) ne ressent rien devant ce déferlement soigné d’images et de son, sinon un occasionnel intérêt purement esthétique.

Reste donc à stimuler tout le champ de l’humanité, celui des émotions ou d’une réflexion un peu plus étoffée…

Jusqu’au 23 novembre
À la Fonderie Darling