Les Feluettes : Les médecins de l’âme
À l’instar des êtres, l’humanité est souvent malade. Elle a donc besoin de docteurs pour la guérir de ses maux.
À l’instar des êtres, l’humanité est souvent malade. Elle a donc besoin de docteurs pour la guérir de ses maux. Pour ce faire, elle peut consulter ses philosophes, ses théologiens, ou autres esprits sages. Elle peut aussi écouter la musique des poètes, ces médecins de l’âme qui soignent les blessures invisibles.
Tel un fils spirituel d’Anton Tchekhov, l’auteur montréalais Michel Marc Bouchard fait partie de ces toubibs. Le Théâtre Espace Go reprend actuellement sa pièce Les Feluettes, la répétition d’un drame romantique, dirigée par Serge Denoncourt. Cette oeuvre de jeunesse, créée en 1987 à la Salle Fred-Barry, a, croyez-moi, franchi admirablement l’épreuve du temps et des souvenirs. Et Denoncourt lui rend justice: il signe une mise en scène audacieuse et d’une grande clarté.
En 1952, un prisonnier, Simon, demande à être confessé par monseigneur Bilodeau, le responsable de son incarcération, 40 ans plus tôt. Mais c’est un guet-apens. Simon et ses compagnons de cellule ont décidé de mettre en scène la représentation des événements survenus à Roberval, en 1912, alors que Simon était amoureux de Vallier, un jeune comte désargenté. Au lieu d’entendre des confessions, Bilodeau verra donc – en même temps que les spectateurs – son lâche passé défiler. La vengeance de Simon sera terrible.
Les Feluettes – la plus belle pièce de Bouchard avec Les Muses orphelines – débordent de qualités. Voilà un texte éminemment théâtral, avec des archétypes de personnages formidables, des répliques à couper le souffle, une structure à la fois complexe et ludique (le récit dans le récit). Un texte porté par un souffle poétique, et par une langue belle, riche, mais toujours accessible.
Mais Les Feluettes (une ancienne expression du Lac-Saint-Jean qui veut dire fifs), c’est d’abord et avant tout un univers. Ou plutôt la rencontre de deux univers: le noble et le trivial, le sensible et l’insensible, le vrai et le faux. L’univers masculin et dur du pénitencier fait écho à l’univers catholique et étouffant de l’époque. Mais on ne tombe jamais dans le genre historique, Bouchard joue sur tous les aspects de la théâtralité. Là est son génie. Pour l’auteur, la vie est un théâtre qu’il faut ennoblir à chaque instant.
En comparaison avec la mise en scène assez tragique d’André Brassard, la lecture de Serge Denoncourt semble plus mélodramatique. La beauté des jeunes amants, la noblesse des sentiments et la grandeur d’âme sont livrés davantage au premier degré. Mais c’est autant un plaisir scénique qu’à la création. Différent mais percutant.
En Simon jeune, Patrick Hivon irradie. Rustre à l’âme sensible, Simon est d’abord un jeune homme confus. Et le comédien rend bien ce malaise. Renaud Paradis dégage toute la noblesse du comte Vallier. David Savard est suave et mordant dans le rôle de Lydie-Anne DesRosiers. En comtesse, mère de Vallier, Robert Lalonde pourrait s’améliorer. Son jeu n’était pas tout à fait placé le soir de la première, et il semblait hésitant. Par contre, l’acteur laisse bien voir le visage sombre de la folie du personnage, sous la robe de sa superbe.
Jacques Lavallée (en père Saint-Michel), Denis Roy (le vieux Simon), Normand Lévesque (monseigneur Bilodeau) et le débutant Olivier Morin sont tous bons. Mais il faut surtout parler de la remarquable performance de Dominic Théberge. Issu de la promotion 2000 du Conservatoire de Montréal, Théberge incarne le jeune Bilodeau, ce bigot perfide qui trahira Simon. Son jeu est plein de rigueur et de justesse.
La scénographie de Louise Campeau, un vaste plancher de dalles coincé entre deux grilles, rend bien l’univers carcéral, mais sans lourdeur. Les costumes de Barbeau sont inventifs et très beaux. Les éclairages de Martin Labrecque accompagnent sensuellement les tableaux magnifiques de Denoncourt (je vous laisse le soin de les découvrir pour ne pas gâcher la surprise).
Ce long spectacle (2 h 25, sans entracte) passe somme toute assez vite. Il est difficile de ne pas en ressortir troublé, qu’importe son sexe, son orientation sexuelle ou son statut civil. Car c’est le genre de spectacle qu’on veut que nos amis voient et aiment passionnément. S’il s’avérait que l’un d’eux n’apprécie pas Les Feluettes… alors tant pis! On perdra un ami…
Jusqu’au 7 décembre
À l’Espace Go