Chroniques de la vérité occulte : Voyage dans la lune
Scène

Chroniques de la vérité occulte : Voyage dans la lune

Si un critique peut juger de la qualité d’un spectacle par le plaisir que ses interprètes ont à le défendre, alors disons que Chroniques de la vérité occulte est un très bon  show…

Si un critique peut juger de la qualité d’un spectacle par le plaisir que ses interprètes ont à le défendre, alors disons que Chroniques de la vérité occulte, une production de Sortie de Secours actuellement en reprise à La Licorne, est un très bon show. Car les sept comédiens (Hugues Frenette, Pierre-François Legendre, Normand Poirier, Natalie Byrns, Pierre Potvin, Caroline Stephenson et Philippe Soldevila, également directeur artistique de cette troupe de Québec) ont visiblement un immense plaisir à jouer dans cette pièce à la fois simple et originale, candide et ubuesque.

Ces Chroniques sont en fait six nouvelles morcelées de l’auteur catalan Pere Calders, dans une traduction et une adaptation "vachement libres" de Philippe Soldevila. Ce dernier signe aussi la mise en scène, rythmée et inventive, dans un décor ingénieux réalisé par le scénographe Denis Denoncourt (la toile en guise de rideau de scène où sont inscrits des éléments biographiques sur l’auteur est un intelligent clin d’oeil et une belle mise en abyme).

En choisissant de théâtraliser les contes de Pere Calders, Soldevila a voulu rendre hommage à l’imaginaire débridé et débordant de cet auteur décédé en 1994. Après avoir abordé les univers de Dali, de Buñuel et de García Lorca dans des créations précédentes, le directeur de Sortie de Secours avait envie de "taquiner les limites du fantastique". Ici, il touche autant au monde selon Ubu que selon Dali. Un monde dans lequel les adultes demeurent de grands enfants.

Chroniques de la vérité occulte reste un spectacle qui, par moments, se rapproche de la pochade ou de l’exercice de style. Or, si le propos n’est pas toujours à la hauteur des intentions de la troupe, sa forme, à la fois souple et rigoureuse, ludique et poétique, remplit toutes les promesses. Et il y a aussi une grande liberté artistique derrière l’entreprise. Par exemple, les comédiens (presque tous excellents) jouant plusieurs personnages, utilisant divers éléments sonores pour enrichir la trame narrative. La mise en scène laisse place aux ruptures de ton et aux apartés, dont ceux pleins d’esprit de Soldevila, personnifiant l’auteur avec son bel accent catalan.

Au final, ces Chroniques sont une belle démonstration de distanciation pour nous rappeler que le théâtre, qu’importe le genre littéraire, demeure d’abord un jeu. Et que l’Homme, qu’importe son âge, doit toujours aller au bout de ses rêves.

Jusqu’au 7 décembre
À La Licorne

P.-S. Après avoir couvert le théâtre pendant 15 ans dans ces pages, je signe ici ma dernière critique. J’en profite pour remercier tous les créateurs et les concepteurs qui, en réalisant leurs rêves, m’ont aidé à bien faire ce travail. Quand mon jugement se mariait à merveille avec leur vision artistique, cela rendait des gens heureux! Au contraire, si mon raisonnement écorchait leur sensibilité, cela provoquait quelques drames. Voilà les risques du métier… Néanmoins, avec le temps, je peux vous affirmer, chers lecteurs, que les meilleurs drames sont ceux qui s’écrivent, et non ceux qui se discutent en coulisses. Bonne fin de saison. (Luc Boulanger)