Benoît Brière : Bas les masques!
Avant d’être une vedette populaire ainsi que la tête d’affiche de la compagnie Bell au Québec, BENOÎT BRIÈRE est un grand acteur et un passionné de théâtre. Rencontre avec un homme timide qui a été sauvé par le jeu.
Tous les soirs, juste avant les nouvelles, à 21 h 59 précises, Benoît Brière apparaît simultanément sur les ondes de Radio-Canada, TQS et TVA. Même les ingénieux distributeurs d’Un homme et son péché n’ont pas pu réussir un tel exploit médiatique… Car cette enviable part du marché télévisuel est réservée, depuis quelques années, par la compagnie Bell qui annonce ses produits et services à travers les péripéties du comédien.
Grâce à Bell, Benoît Brière est rapidement devenu une tête d’affiche au Québec. Si la publicité est la vache à lait des comédiens au Québec, Brière, lui, a eu droit à la ferme au complet! "Je suis choyé, reconnaît le populaire interprète. Un acteur au Québec fait souvent voeu de pauvreté en choisissant cette carrière. Mais il n’y a pas seulement l’argent. J’adore faire les pubs de Bell, car elles répondent à un besoin professionnel: celui d’interpréter des personnages intéressants et de les faire aimer du public. Je ne suis pas devenu un acteur pour jouer dans mon salon."
Mais pour pénétrer dans le salon de millions de Québécois, pourrait-on lui répondre. Car Benoît Brière ne chôme pas. Il a tourné plus de 110 publicités différentes pour Bell. Ces commerciaux lui ont permis d’incarner une soixantaine de personnages de tous les genres et des deux sexes (ses personnages féminins sont savoureux!). Chose rare, le comédien participe aussi aux réunions de production et au processus de création de chacune des publicités: "Si le résultat est mauvais, je suis un peu responsable", dit humblement Monsieur B.
Heureusement, il n’y a pas que la pub dans sa vie d’acteur. Ces jours-ci, le public peut apprécier son talent au petit comme au grand écran. Brière fait partie de la distribution de trois films à l’affiche à Montréal: Station Nord de Jean-Claude Lord; The Baroness and the Pig de l’auteur canadien-anglais Michael MacKenzie; et, aux côtés de la moitié du bottin de l’Union des artistes, Un homme et son péché de Charles Binamé. Puis, le comédien vient de terminer le tournage de La Grande Séduction, un long métrage de Jean-François Pouliot (le réalisateur des pubs de Bell) qui sortira à l’été 2003. Le scénario de La Grande Séduction est l’oeuvre de son ami Ken Scott, l’auteur de la télésérie Le Plateau, à Radio-Canada.
Cette percée cinématographique réjouit Benoît Brière. Ce dernier a été énormément gâté par le théâtre et la télévision, mais le cinéma l’avait quelque peu négligé auparavant. Outre ces quatre films, le comédien de 37 ans a joué dans seulement trois longs métrages: Louis 19 (un rôle muet); Joyeux Calvaire de Denys Arcand; et, en 1996, dans une comédie qui n’apparaît nulle part dans son curriculum vitæ: Angelo, Fredo et Roméo. Un "navet" – pour reprendre le terme utilisé, à la sortie du film, par le propriétaire d’une salle de Lévis qui remboursait les spectateurs mécontents – vu par presque personne mais dont tout le monde a entendu parler.
Six ans plus tard, Brière s’en souvient comme si c’était hier. Une "expérience rough", résume-t-il. "À l’époque, avec Martin Drainville et Luc Guérin (les deux autres vedettes de la comédie), j’étais conscient qu’Angelo, Fredo et Roméo était pourri… Or, je ne voulais pas le désavouer publiquement. J’ai joué la game de la promotion, comme on me le demandait, et même si on n’avait pas respecté les attentes pour nous écarter du projet à la production. Pendant quelques jours, j’ai eu peur que ce film nuise à ma carrière. Aujourd’hui, j’ai réalisé qu’au Québec, un succès ou un flop, ça dure deux semaines…"
Des succès, Benoît Brière en a eu davantage que des échecs. À la télévision, le personnage qui a probablement le plus marqué les Québécois demeure celui d’Olivier Guimond, dans Cher Olivier. Comme le légendaire comédien, Benoît Brière est un grand comique capable de porter des émotions plus tristes, voire tragiques.
Si un acteur est un instrument, Brière est à la fois l’archet et le violon. "Il trouve toujours la bonne corde pour faire vibrer un personnage, dit la metteure en scène Martine Beaulne. Il va directement au coeur et à l’âme du personnage."
"Je ne suis pas un érudit du théâtre", estime l’acteur qui a eu la vocation sur le tard, à 21 ans, après avoir amorcé de pénibles études en économie à l’UQAM, sans même soupçonner l’existence de l’École nationale de théâtre du Canada! "Je n’ai pas une grande culture générale, mais j’aime passionnément la culture."
Il a vite rattrapé son manque de connaissances, estiment ceux qui ont travaillé avec lui. "C’est un bonheur de répéter avec Benoît, s’exclame Martine Beaulne qui l’a dirigé dans trois pièces au TNM. Il a une vision d’ensemble d’un spectacle. Ce n’est pas un acteur individualiste. Son jeu nourrit la mise en scène. Il ne se fie pas seulement à son instinct; il travaille très fort."
Têtes d’affiche
Quand j’ai rencontré Benoît Brière, je lui ai fait lire la Grande Gueule de Christian Bégin, Viens voir les "comédiens". Dans son texte (paru dans le Voir du 7 novembre dernier), Christian Bégin dénonce le fait que de plus en plus de personnalités publiques, avec peu ou pas du tout de formation en jeu, décrochent des premiers rôles à la télé et au cinéma. Ses propos ont suscité une tonne de réactions sur notre site Internet, la plupart d’appui, mais aussi des critiques, dont une réponse acerbe de l’humoriste Louis Morissette (le macho des Mecs comiques, et le beau de Véronique Cloutier), qui trouve ironique ce coup de gueule d’un comédien touche-à-tout.
Après la lecture de l’article, Benoît Brière a donné raison à Bégin. "Je n’ai rien contre les têtes d’affiche. J’en suis moi-même une. Si la popularité d’une vedette peut inciter des gens à sortir au théâtre et au cinéma, tant mieux! Mais la notoriété ne doit jamais passer avant le talent."
Or, souvent, c’est malheureusement le cas. Parmi les 11 finissants de sa classe à l’École nationale, seulement deux jouent régulièrement, déplore Brière. "Les autres travaillent dans un autre domaine ou crèvent de faim. Et ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas de talent."
Honnêteté et rigueur. Voilà deux mots qui ont disparu du vocabulaire de certains producteurs. "C’est plate à dire, mais, surtout en télévision, on prend souvent le public pour des cons."
Un mépris qui fait sortir de ses gonds cet homme jovial. "Parfois, j’ai l’impression de pratiquer un sous-métier! Tout le monde pense pouvoir faire ma job: les humoristes, les athlètes, les musiciens… J’ai tourné avec un chef syndicaliste reconnu qui jouait faux comme une vache espagnole. J’ai joué avec une agente de bord d’Air Canada qui avait décroché un rôle secondaire parce qu’elle avait surclassé le producteur, sur un vol, en classe affaires!!! Si, au moins, elle avait eu du talent… j’aurais pu comprendre. Mais elle était terriblement mauvaise. Hélas, on en est rendu là."
Action de grâce
L’homme qui parle ainsi a déjà été un puriste qui pensait que le théâtre pouvait changer le monde. C’était au début des années 90, à l’École nationale.
À l’époque, Pierre Lefebvre, un professeur retraité, lui enseignait le masque de caractère. "Un jour, Pierre Lefebvre s’est mis un masque d’Arlequin pour nous expliquer le jeu de composition. Soudainement, cet homme de 70 ans, calme et posé, s’est mis à sauter et à courir d’un bord à l’autre de la classe. Pendant 10 minutes, j’avais vraiment l’impression de voir devant moi un jeune homme de 25 ans. Puis, quand il a enlevé son masque, et que j’ai vu son vieux visage ridé, fatigué… je suis carrément tombé de ma chaise: Pierre Lefebvre m’avait fait oublier son âge, rien qu’avec un masque!"
Ce bref moment de grâce, au milieu d’un exercice scolaire, reste la grande révélation de sa vie d’acteur. "J’ai compris alors que le jeu passait d’abord et avant tout à travers le corps. Comme dit le vieil adage: If you can show it, don’t say it. Certes, le théâtre a besoin des mots. Mais pour bien interpréter un texte, c’est l’attitude physique qui prime. Un acteur peut dire ses répliques à merveille, mais si le corps ne suit pas la tête, ça ne fonctionne pas."
Au printemps 1991, Benoît Brière et Stéphane F. Jacques, son ex-compagnon de classe, se font remarquer aux auditions du Théâtre de Quat’Sous avec une scène de Nez à nez ou duel de naïfs, tirée du spectacle que les deux comédiens vont créer ensuite au même endroit.
Par la suite, Brière va rapidement dépasser son emploi de gars naïf, sympathique et bon vivant pour devenir un des grands acteurs de composition au Québec. Au théâtre seulement, il a défendu une vingtaine de rôles, tant comiques que dramatiques, dont une demi-douzaine de classiques au Théâtre du Nouveau Monde. Parmi ses prestations les plus marquantes, mentionnons son inoubliable Sganarelle dans Dom Juan de Molière. Un drôle de Figaro dans Le Barbier de Séville. Un émouvant Julius dans Le Temps et la Chambre de Botho Strauss. Son personnage le plus populaire sur les planches demeure Monsieur Jourdain, dans Le Bourgeois gentilhomme dirigé par Denise Filiatrault au Festival Juste pour rire en 1995.
Benoît Brière a toujours été attiré par des personnages extrêmes, le plus éloignés possible de lui. Cet homme secret et réservé, malgré le succès, a-t-il besoin de se cacher sous le masque d’un autre pour oublier sa timidité? "Quand je joue quelqu’un qui est trop près de moi, je ne pense pas être bon. Est-ce de l’insécurité? Peut-être. Mais c’est aussi, pour un acteur, un grand défi que de s’éloigner de sa personnalité."
De là à dire qu’il trouve ses personnages plus intéressants que lui-même, il n’y a qu’un pas qu’il ne franchira pas. "Je ne suis pas un clown triste. Je trouve seulement plus compromettant pour un acteur de jouer sans masque. J’écoutais récemment Roy Dupuis en entrevue. On lui demande, au contraire de moi, de jouer des rôles très près de lui. Or, il disait au journaliste que le plus intéressant, ce n’est pas tant le personnage en soi, mais l’histoire à raconter. J’endosse cela totalement."
Perfectionniste, rigoureux et extrêmement discipliné, Benoît Brière n’est guère le genre à se reposer sur son talent. "Je ne suis pas parfait. Mais lorsque je monte sur une scène, je suis persuadé d’une chose: je ne peux pas être moins bon que la veille. Si possible, je dois même être meilleur parce que j’ai un show de plus d’expérience. Et que le public paie le même prix chaque soir."
Cent fois sur le métier…