Quelqu'un va venir : Art abstrait
Scène

Quelqu’un va venir : Art abstrait

On ne pourra jamais reprocher à Denis Marleau de manquer de suite dans les idées. De Maurice Maeterlinck (bis) à Beckett, et même à Pierre Perrault, puis maintenant à Jon Fosse, les divers jalons de son parcours se font écho avec une remarquable cohésion, permettant de tisser des liens éclairants entre les univers et les auteurs. Ainsi, les thèmes de Quelqu’un va venir, du dernier auteur, évoquent ceux d’Intérieur, du premier: bulle sur laquelle pèse une menace qui viendra de l’extérieur, attente d’un drame, ombre de la mort qui plane…

On ne pourra jamais reprocher à Denis Marleau de manquer de suite dans les idées. De Maurice Maeterlinck (bis) à Beckett, et même à Pierre Perrault, puis maintenant à Jon Fosse, les divers jalons de son parcours se font écho avec une remarquable cohésion, permettant de tisser des liens éclairants entre les univers et les auteurs. Ainsi, les thèmes de Quelqu’un va venir, du dernier auteur, évoquent ceux d’Intérieur, du premier: bulle sur laquelle pèse une menace qui viendra de l’extérieur, attente d’un drame, ombre de la mort qui plane…

Et formellement, tout ce qui caractérise ces dernières années l’art du directeur du Théâtre Ubu y est exacerbé: abstraction, austérité, dépouillement, pureté minimaliste, lenteur, importance des silences, refus des effets. Tels des tableaux scéniques, le metteur en scène crée des spectacles magnifiques dans leur composition, mais des objets si bien placés que la vie semble parfois ne plus y passer… Quelqu’un va venir plaira donc probablement davantage à ceux qui partagent cette conception formelle mais un peu asphyxiante du théâtre. Les autres risquent de trouver que quelque chose se fait attendre, longtemps…

D’autant que le nouveau chouchou de la dramaturgie scandinave, le Norvégien Jon Fosse, a écrit là une pièce passablement énigmatique, où ne se passe que ce qui était annoncé au début: quelqu’un va venir, et troubler l’intimité inquiète d’un couple déterminé à être "seuls ensemble". Pour vivre à l’écart des autres, Elle et Lui s’installent dans une maison isolée au bord de la mer. Une vieille demeure encore imprégnée de l’odeur de l’ancienne propriétaire, qui y est morte. Partagée entre la quête et l’appréhension de la solitude, la femme pressent pourtant la venue d’un étranger.

Le souriant jeune homme qui a vendu la maison au couple surgit en effet, s’immisce dans leur intimité. Et cette intrusion anodine dans leur cocon suffira à semer la suspicion et à réveiller la jalousie maladive de l’homme. À la fin, rien ne se sera vraiment passé, mais une fêlure aura été introduite au sein du couple.

Avec sa bière, ses jeans, ses préoccupations d’ordre matériel ("J’ai de l’argent, maintenant", répète-t-il), l’Homme (Alexis Martin) semble provenir d’un univers différent, plus réaliste; évoluer dans un registre qui s’écarte curieusement de l’étrangeté plus intemporelle qui caractérise d’abord la pièce aux accents symbolistes. Le texte de Fosse est composé de phrases simples, qui perdent leur banalité à force d’obsédantes réitérations.

Solitude fondamentale, menace diffuse que fait peser le monde, fragilité des relations humaines, angoisse métaphysique? Quelqu’un va venir est une pièce qui tait plus de choses qu’elle n’en dit. Entre l’abstraction répétitive de la pièce et l’austérité de la mise en scène, au temps suspendu, l’esprit tend à s’évader…

Pourtant, la coproduction du Théâtre français du CNA et d’UBU est formellement splendide. Denis Marleau a lui-même conçu le brillant décor, un squelette de maison de bois sur pilotis, posé sur un plateau tournant. La musique de Denis Gougeon confère parfois au spectacle l’étrangeté d’un conte.

Manifestement très retenus, les comédiens font un travail de haute précision, ciselant les nuances de chaque phrase. Les magnifiques Pierre Lebeau et Pascale Montpetit rendent l’angoisse de leur couple palpable, avec l’économie d’un jeu épuré et distant. Même sans être touché par la pièce, on ne peut qu’admirer leur humilité et leur maîtrise.

Jusqu’au 14 décembre
À l’Usine C