Normand Chouinard et Rémy Girard : Bouchées doubles
Scène

Normand Chouinard et Rémy Girard : Bouchées doubles

Normand Chouinard et Rémy Girard ne se contentent plus de jouer en duo. Dans L’Ouvre-Boîte, ils s’échangent carrément leurs personnages, tirant au sort chaque soir qui jouera quoi. Portrait d’une relation amicale et artistique qui s’étend sur 40 ans. Normand Chouinard et Rémy Girard se connaissent depuis près de 40 ans. Quatre décennies au cours desquelles les deux amis ont souvent partagé des scènes et des plateaux, écrit ensemble, pour la radio ou le théâtre  d’été.

Normand Chouinard et Rémy Girard ne se contentent plus de jouer en duo. Dans L’Ouvre-Boîte, ils s’échangent carrément leurs personnages, tirant au sort chaque soir qui jouera quoi. Portrait d’une relation amicale et artistique qui s’étend sur 40 ans.

Normand Chouinard et Rémy Girard se connaissent depuis près de 40 ans. Quatre décennies au cours desquelles les deux amis ont souvent partagé des scènes et des plateaux, écrit ensemble, pour la radio ou le théâtre d’été. Depuis leur réunion lumineuse sous les traits des compères d’En attendant Godot, en 1991, les comédiens en sont aussi venus à former épisodiquement un véritable duo. Ils ont ainsi joué des frères (Caïn et Abel, une dramatique de Janette Bertrand, en 1995), un maître et son fidèle valet (Don Quichotte), des amants (La Cage aux folles). Et ils s’apprêtent à aller encore plus loin en campant, au gré des caprices du hasard, deux personnages qui finiront ultimement par fusionner, par devenir un "nous"…

Cette nouvelle aventure à deux, c’est celle de L’Ouvre-Boîte, que le directeur de la compagnie Jean Duceppe, Michel Dumont, a proposé au tandem, et à la metteure en scène Martine Beaulne. Cette pièce de l’acteur français Victor Lanoux (le moustachu de Cousin, Cousine) a connu un grand succès au TNM en 1975-76, alors que Jean-Louis Roux et Yvon Deschamps incarnaient ces rôles typiques de la dynamique traditionnelle des duos: un intellectuel, Jean, et un, disons, naïf, Jacques.

Deux personnages dissemblables au possible, mais coincés ensemble dans un sous-sol et engagés dans une âpre lutte pour la survie, alors que dehors, la fin du monde fait rage. Dans leur abri, est stockée toute une provision de conserves de petits pois. Seul ennui: le pauvre Jacques a égaré L’ouvre-boîte

Sous ses dehors de divertissement un peu clownesque, les interprètes y voient une comédie à portée philosophique aux résonances universelles. "La pièce est probablement plus actuelle que lorsqu’elle a été créée, avance Rémy Girard. On dirait qu’elle a pris une dimension qu’elle n’avait pas au départ. Elle traite de l’espèce d’équilibre que la société cherche, sans la trouver, entre les rapports de force. Jean et Jacques vont essayer une forme de solidarité, de fusion, mais avant, ils vont passer par tous les jeux de pouvoir."

Pendant que l’instinctif crie famine, l’intello tente de transcender sa faim par l’esprit. Un autre duo comme la paire de Don Quichotte en a curieusement le secret: "Toujours un qui aspire vers le ciel, alors que l’autre a les deux pieds au sol." Outre cette opposition entre le corps et l’esprit, les valeurs matérielles et spirituelles, on peut lire dans L’Ouvre-Boîte les rapports entre les démunis et les possédants de ce monde.

"C’est un microcosme de la société, opine Normand Chouinard. Il y a un dominant et un dominé. Et parfois le dominé réussit à rétablir la situation, ce qui devient bougrement intéressant. Le dominant a besoin de son dominé. C’est peut-être vrai que l’enfer c’est les autres, mais être seul, c’est encore pire. Ces deux personnages doivent vivre ensemble pour un temps indéterminé, alors ils sont obligés de tenir compte de l’autre. À Jérusalem, les Juifs et les Arabes sont pris pour vivre ensemble. Comment développer un modus vivendi? C’est exactement ce qui se passe entre ces personnages."

Le jeu de l’amitié et du hasard
La complicité, Normand Chouinard et Rémy Girard connaissent, merci. Mais avec L’Ouvre-Boîte, ils avaient envie de la pousser un cran plus loin, histoire de renouveler un peu leur collaboration scénique. Puisqu’ils étaient incapables de se distribuer les rôles, Chouinard a suggéré qu’ils se les partagent. Après tout, la pièce s’y prête bien, qui aboutit sur une fusion des personnages… Pourquoi pas la "fusion des acteurs"?

Selon un concept inusité mais pas inédit (ça se serait déjà fait à Chicago, avec la pièce True West), avant chaque représentation, ils tireront au sort, devant le public, dans une… boîte de petits pois, quel rôle chacun devra jouer ce soir-là.

"Pour nous, c’est un exercice de style, un défi supplémentaire, qui ajoute à notre expérience commune de jeu, explique Rémy. C’est pour nous qu’on le fait, pas pour le public, puisque je ne crois pas que ça va faire une différence pour lui."

Si la paire a mis plus de temps à apprendre le texte, la préparation de la pièce se déroule normalement, sauf que les comédiens répètent dans les deux sens – là aussi, il ont commencé à mettre le hasard à contribution. Et outre certains gags visuels qu’ils partagent ("quand l’un trouve quelque chose de bon, l’autre le fait aussi; mais c’est l’exception"), ils sont fascinés de constater à quel point ils abordent les mêmes personnages de façon différente.

"Son Jean est très pontifiant, il a une grosse voix ronflante, il aime s’écouter parler, remarque Normand Chouinard. À l’opposé, son Jacques est hyper vulnérable, effrayé." "Lui, son Jean est plus cynique, plus désabusé, il éprouve moins de plaisir à avoir le pouvoir, renchérit le comédien de Bunker. Et son Jacques est beaucoup plus dépendant, plus ouvert à essayer des choses que le mien, qui est davantage bougon…"

Un effet de miroir déformant qui révèle à quel point un acteur colore son rôle par son tempérament. Et refait la démonstration que le tandem contrasté de Don Quichotte peut jouer indifféremment les rôles du niais et du cérébral, du dominant et du dominé, comme ils l’ont fait souvent au cours de leur carrière. Tout deux ont une large palette.

En tout cas, ils sont unanimes à décréter qu’ils n’auraient jamais tenté un tel pari avec un autre partenaire de jeu. Pareil procédé exige la complicité et la totale confiance qui les soudent tous deux. "Il y a une économie de temps énorme: Rémy et moi n’avons pas besoin de se dire beaucoup de choses. Quand je le vois partir dans une direction, je sais comment le suivre. La confiance, ça prend du temps à se bâtir. Et puis, je le dis tout le temps: moi, je le trouve bon!" (rires) Admiration partagée.

Sur le plan du jeu, ils se complètent bien. Comme dans un couple, ils ont chacun leurs forces… Normand Chouinard apprécie la grande humanité de son collègue ainsi que son habileté à incarner l’homo quebecus. "Tous ses personnages sont vrais. Rémy se sert toujours de tout ce qu’il connaît de la vie avec naturel: il est le personnage. Il n’y a pas beaucoup d’acteurs qui peuvent faire ça. Et on a toujours l’impression qu’on connaît ses personnages, tellement ils sont incarnés."

Rémy Girard n’est pas en reste: "Ce que j’aime chez lui, c’est qu’il a un souffle d’acteur que moi je n’ai pas. Une puissance. Je n’en revenais pas de le voir chaque soir jouer Don Quichotte. Il a un sens épique. Il n’a pas peur, lui, d’aller dans les choses qui demandent un dépassement. Et Normand est comme ça dans la vie: quelqu’un qui se surpasse, qui met le maximum d’intensité dans ce qu’il fait."

Copains d’abord
Il y a 10 ans, les blondes respectives de Normand Chouinard et Rémy Girard leur ont organisé un beau gros surprise party pour célébrer leur 30e anniversaire de mariage… amical et artistique. Une centaine de personnes les attendaient au Lion d’or pour leur chanter Les Copains d’abord

Pas surprenant que les comédiens jouent en duo: pour eux, l’amitié et le théâtre ont commencé à peu près en même temps. Dans les pièces de leur collège. "On a d’abord été des chums de théâtre, se rappelle Normand. La première fois que j’ai travaillé avec lui, je l’ai maquillé. Il jouait dans une opérette." (rires)

Rémy avait 13 ans et Normand 14. Ça a cliqué tout de suite. Et même si Girard est allé poursuivre son cours classique à Jonquière, ils se sont revus lors d’un festival, puis définitivement retrouvés au sein des Treize, la renommée troupe amateur de l’Université Laval, où les deux, sans se concerter, étudient à la faculté de droit. Quand on parle de destin…

Après quelques années aux Treize à monter des pièces en gang (avec notamment Raymond Bouchard et… Martine Beaulne), les deux disent adieu sans regrets à leur future toge d’avocat – sauf que Chouinard a tenu à passer son Barreau avant – pour entrer au Conservatoire d’art dramatique de Québec.

Depuis, les routes de ces comédiens populaires se sont croisées souvent, à leur propre initiative ou non. Mais chacun a aussi suivi sa propre voie. Rémy Girard montre un palmarès cinématographique (une trentaine de films) dont peu d’acteurs québécois peuvent se vanter. La carrière de Normand Chouinard s’est surtout faite sur les planches – et en coulisses: il a dirigé pendant six ans le Conservatoire de Montréal, a été président du Conseil québécois du théâtre.

"Tu es beaucoup plus responsable que moi! s’esclaffe son comparse. J’ai essayé les conseils d’administration de théâtre: j’étais malheureux; les meetings, j’ai horreur de ça." "Mais c’est pas parce que tu ne t’exprimes pas!" le taquine l’autre…

Girard est de son propre aveu plus instinctif que son ami, plus "bougon", et plus susceptible de montrer l’impatience qu’ils ressentent tous deux quand le travail n’avance pas: "Dans notre relation, c’est moi le chialeux." Et peut-être le plus inquiet, sous les grands rires bonhommes qu’il laisse souvent fuser.

"Rémy finit toujours par dire à un moment donné: "Ça marchera jamais ce show-là!" raconte le posé Normand. Il est pessimiste parce qu’il ne veut pas se faire d’illusions. C’est moi qui dis: ben voyons donc! Et ça marche tout le temps. Alors, quand il ne le dit pas, je suis inquiet: peut- être que ça marchera pas…" Et cette fois-ci? "Il ne l’a pas encore dit. J’attends…"

Que faire après une collaboration aussi étroite? Ils ne savent pas, n’ont jamais dressé de plan pour ces duos qui leur ont toujours été proposés par un tiers. Un rendez-vous pourtant leur semble logique: jouer The Sunshine Boys, la pièce de Neil Simon. Mais ça attendra, ils n’ont pas encore l’âge d’incarner ces deux anciens partenaires de jeu qui ne peuvent plus se supporter.

Pas de danger qu’eux en arrivent là…

Du 18 au 21 décembre et du 7 janvier au 8 février
Au Théâtre Jean-Duceppe