La Nuit des rois : Tableau de maître
Scène

La Nuit des rois : Tableau de maître

L’an de grâce 2002 finit comme il avait commencé au TNM: avec une comédie du grand Will enlevée par Yves Desgagnés. On n’a rien contre la recette quand le plaisir et l’imagination sont au nombre des ingrédients. C’est encore le cas avec ce spectacle qui clôt la trilogie shakespearienne du metteur en scène, amorcée avec le voluptueux Songe d’une nuit d’été et les baroques Joyeuses Commères de  Windsor.

L’an de grâce 2002 finit comme il avait commencé au TNM: avec une comédie du grand Will enlevée par Yves Desgagnés. On n’a rien contre la recette quand le plaisir et l’imagination sont au nombre des ingrédients. C’est encore le cas avec ce spectacle qui clôt la trilogie shakespearienne du metteur en scène, amorcée avec le voluptueux Songe d’une nuit d’été et les baroques Joyeuses Commères de Windsor.

Mariage de romantisme, de fantaisie et de farce, La Nuit des rois est balisée par des thèmes familiers à notre époque: valse des désirs, confusion identitaire et des sentiments, ambivalence sexuelle, poursuite d’un d’amour inaccessible. Dans cette comédie qui exalte le jeu théâtral à travers le déguisement, on se leurre ou on est joyeusement leurré sur l’objet de son désir.

La production transpose cet univers dans l’atelier d’un artiste. Celui du mélancolique Orsino (Gilbert Sicotte) qui peint de façon obsessionnelle le portrait de son adorée, décomposé en plusieurs tableaux qui finiront par former une impressionnante fresque. Le duc charge un jeune page, sous lequel se camoufle en fait une naufragée du nom de Viola, de faire la cour en son nom à sa récalcitrante belle, qui brûlera bientôt de désir pour le faux garçon…

Catherine Trudeau y est délicieuse en page au look androgyne (mais un peu trop évaporée en fille, au début), qui ne laisse transparaître sa féminité qu’à travers des petits cris et soupirs d’amour… Elle partage des scènes à l’ambiguïté érotique relevée avec l’Olivia passionnée et caractérielle de l’excellente Isabelle Blais, dont l’apparition couchée sur une immense main de plâtre (bien que tournée dos au public) ne manque pas d’effet.

Dans la traduction claire et moderne de Normand Chaurette, cette Nuit des rois fourmille de belles idées visuelles et de trouvailles comiques. Le filon pictural, notamment, alimente une piste féconde. Ne payant pas de mine au premier abord, la grande surface de Richard Morin qui fait office de décor dévoile moult trappes et portes, telle une boîte à surprises. Même l’ingénieux costume de Viola-Césario, véritable work in progress, prend l’allure d’une toile qu’on achève progressivement, en rajoutant de la couleur au fil des scènes. (Judy Jonker drape aussi Olivia d’atours magnifiques.) Un tableau devient l’accessoire d’une scène très drôle, où trois plaisantins se cachent de leur victime, le très rigide intendant (Alain Zouvi, impayable de raideur ridicule).

Traditionnellement, La Nuit des rois, c’est la fête des fous, et entre les personnages endeuillés grouille une faune plus ou moins clownesque. La gaillarde servante campée par Valérie Blais, l’amoureux de la bouteille incarné par l’énergique Frédéric Desager et le benêt joué avec délice par un étonnant Pierre Curzi forment un trio vigoureux. Par contre, Feste, le fou interprété sans éclat par Julie Vincent, paraît mal défini.

Avec la présence d’un musicien (Jean René) sur scène, Yves Desgagnés anime un véritable esprit de troupe, au plaisir généralement contagieux. Plusieurs scènes font mouche (comme cette chanson du silence, mimée en choeur), mais le tableau d’ensemble paraît assez chargé par moments. Si bien qu’en bout de course, la pièce finit par se perdre un peu dans les bouffonneries – on y fait même allusion aux arts martiaux, si en vogue au cinéma! Tout l’épisode où Malvolio est suspendu par ses tourmenteurs paraît long.

Quelques traits plus gros dans une fresque qui brosse pourtant un hommage réussi à la fougue de l’amour et au plaisir du jeu. Une fête pour les yeux et la rate.

Jusqu’au 21 décembre
Et du 7 au 23 janvier
Au TNM