L'année en théâtre : Les fleurs… et le pot!
Scène

L’année en théâtre : Les fleurs… et le pot!

Jean qui pleure, Jean qui rit, le théâtre est fait de dichotomies. Et si, entre deux extrêmes, on y trouve parfois l’équilibre, c’est surtout pour ses excès, ses élans de passion, son audace qu’on le fréquente. Tantôt pour le meilleur, tantôt pour le pire. Pièces jointes.

La pire…

Les grandes attentes font parfois les grandes déceptions. Tel fut le cas, cette année, pour La vis comica de Plaute. Le metteur en scène Jean-Pierre Ronfard puisant aux sources de la comédie, chez un auteur ayant inspiré nombre de ses successeurs: la proposition avait de quoi séduire. Le spectacle, composé de trois brefs morceaux, présentait pourtant un intérêt ténu. La pièce principale, Le Charançon, racontait l’histoire d’un jeune amoureux sans le sou contraint d’acheter sa belle et y parvenant, après les ruses et quiproquos d’usage. Mis à part le jeu avec les conventions théâtrales proposé à la fois par l’auteur et le metteur en scène, la pièce offrait une histoire maintes fois entendue mais surtout, un rythme inégal et trop lent pour nourrir l’attention, alors que le schématisme de l’intrigue et des personnages aurait demandé vivacité et précision sans faille. Malgré de bons numéros d’acteurs, l’ensemble semblait s’étirer avant de prendre, à la toute fin, son envol, malheureusement un peu tard. Peut-être un tel texte a-t-il tout simplement perdu pour nous, outre sa valeur historique, une partie de son intérêt? Une réserve, aussi, quant au complément de programme: on présentait un extrait de la pièce Le Soldat fanfaron, adaptée par Ronfard à la situation des soldats canadiens en Afghanistan. Soit. Mais quel besoin d’ajouter, en rôles muets mais gémissant de paresse, une troupe d’Afghans portant les bagages, visiblement mécontents devant l’effort à faire? Le tout semblait déplacé, voire gênant, et terminait bien curieusement le spectacle. (M.Laliberté)

La meilleure…
Il arrive aussi que les grandes attentes soient comblées. C’est ce que fit la tragédie Macbeth, mise en scène par Frédéric Dubois. La langue rude de la traduction de Michel Garneau – bien qu’elle ait écorché quelques oreilles -, la scénographie évoquant de façon éclatante le chaos où s’enfoncent Macbeth et le royaume d’Écosse, le caractère enveloppant, obsédant de l’environnement sonore, l’énergie folle et l’interprétation sensible de tous les comédiens, la lecture lumineuse du metteur en scène: autant d’éléments conférant à ce projet ambitieux – se frotter à Shakespeare n’est jamais une mince entreprise – un souffle d’émotion puissante, qui secoue profondément, sans jamais rien sacrifier de sa rigueur. (M.Laliberté)

La pire…
Depuis sa production En français comme en anglais, … It’s easy to criticize, le Collectif PME s’est probablement habitué à être salué par la critique comme par un public de plus en plus considérable. Invité du Carrefour international de théâtre de Québec en mai dernier, le groupe formé d’artistes anglophones et francophones proposait cette fois un spectacle cabaret sondant les thématiques de l’ambivalence morale et de la recherche d’authenticité. Rien de moins! Alors qu’on nous avait présenté l’événement comme un happening, collage qu’on voulait spontané, convivial et évolutif, Le Génie des autres/Unrehearsed Beauty se révéla plutôt un tissu chaotique d’interventions banales, au cours duquel un public tantôt déçu tantôt ahuri se farcit une série de sketchs aussi insipides que décousus. Même les spectateurs courageux qui osèrent prendre le micro pour tenter d’engager un dialogue vrai se firent nettement couper l’herbe sous le pied par des comédiens visiblement désarçonnés par le caractère interactif d’un spectacle qui, quoique le leur, les dépassa bien vite. Drôle de génie! (C.Morency)

La meilleure…
L’aspect fabuleux d’un tel festival (le Carrefour) est certainement lié à l’éclectisme de la formule. Charriant invariablement son lot de déceptions et de coups de coeur, le spectateur assidu n’y demeure jamais de glace. Les intuitifs qui se sont rendus à l’une des trois représentations d’Endstation Amerika ne sont certes pas repartis bredouilles. Cette adaptation très libre d’Un tramway nommé Désir, orchestrée par l’épatant Frank Castorf (directeur artistique de la célèbre Volksbüne, institution théâtrale majeure de l’ex-Berlin Est), se révéla aussi choquante que magnifique, tous les repères dramatiques étant employés au profit de la transgression et d’une plongée périlleuse vers les abysses de la dérision. Trois heures de pur délire en compagnie d’acteurs-musiciens aussi charismatiques qu’audacieux, qui incarnèrent avec une finesse toute tragique de grands mythes servis à la sauce contemporano-destroy. Là, vraiment, on parle génie. (C.Morency)