Didier Chirpaz : Coup de ballet
L’École supérieure de danse du Québec a fait peau neuve. Son directeur général, DIDIER CHIRPAZ, nous parle des nouvelles orientations de cette institution qui ne craint pas le mouvement.
Il semble que l’art n’échappe pas à la vague de restructuration qui frappe les grandes compagnies partout dans le monde. Il y a cinq ans, l’École supérieure de danse du Québec (ESDQ), située à la même enseigne que les Grands Ballets Canadiens, a dû elle aussi faire face aux revers de la modernité. Car depuis la mort de sa fondatrice, Mme Chiriaeff, en 1996, la réputation de l’École était en chute libre, "à un point tel que le ministère de la Culture et le conseil d’administration de l’ESDQ se sont posé de sérieuses questions quant à l’existence même de l’École", affirme Didier Chirpaz.
M. Chirpaz est arrivé à la direction générale de l’École supérieure de danse du Québec et à la direction artistique des Jeunes Ballets du Québec en 1997, à la suite d’une offre d’emploi que l’administration de l’École avait lancée sur les cinq continents. Sur le lot, six candidats de partout dans le monde avaient été retenus. Parmi ceux-ci, c’est cette ex-étoile du Lyon Opéra Ballet et du Grand Théâtre de Genève qu’ils ont retenue. Sûrement à cause de sa vision contemporaine du ballet et de son extraordinaire pouvoir de conviction.
"Notre mission n’est pas de défendre une quelconque idée du ballet. Non! Notre mission est de former des interprètes employables", écrit-il dans son rapport annuel 2001-02. Voilà qui est audacieux lorsqu’on fait partie d’une discipline artistique aussi traditionnelle que le ballet classique. Il va même jusqu’à dire: "Pour nous, le ballet n’est ni classique, ni romantique, ni moderne. Il est par essence contemporain… entendu ici comme qualificatif, et non comme courant esthétique."
Les changements apportés à l’École de danse supérieure du Québec ne sont donc pas seulement d’ordre administratif, mais aussi d’ordres philosophique et pédagogique. "Pour amener les élèves de l’École vers une polyvalence leur permettant d’être désirables aux yeux d’un plus grand nombre de compagnies de danse, cela prenait une réforme en profondeur du programme pédagogique. Premièrement, nous devions créer une cohérence pédagogique qui allait s’étaler d’une classe à l’autre… d’une année à l’autre. Ceci, de façon à ce que l’élève puisse trouver un cheminement pédagogique logique qui lui soit propre. Avant, lorsque nos élèves passaient d’un professeur à un autre, ils devaient réapprendre la danse, car ils passaient d’une méthode à une autre. Ce temps est révolu. La danse est un art, pas un style. Ce qu’on doit apprendre aux jeunes danseurs, maintenant, c’est de donner un sens au mouvement qu’ils effectuent. Sinon, ça ne reste qu’un geste banal et sans signification. Il doit donc y avoir un investissement personnel du danseur dans son mouvement pour qu’on puisse parler d’interprétation. D’où l’optique contemporaine de notre ballet", explique M. Chirpaz.
Une véritable école du spectacle
Ce programme danse-études s’étend de la cinquième année du primaire à la troisième année du cégep et est soutenu par le ministère de l’Éducation du Québec. L’ESDQ est la seule institution d’Amérique du Nord à dispenser une formation de niveau international, en ballet contemporain, dans un environnement francophone. De plus, les Jeunes Ballets du Québec, formés des étudiants du collégial, sont une véritable école du spectacle. Car les étudiants qui y sont inscrits se retrouveront à danser, dans le cadre de leur formation, pour des chorégraphes contemporains tels que Ginette Laurin, Hélène Blackburn, Roger Sinha, Édouard Lock, et bien d’autres. Des tournées sont aussi organisées, afin que ces danseurs en puissance puissent se familiariser avec les contraintes du milieu. Les étudiants qui fréquentent cette école sont alors, bien avant leur sortie, des professionnels dans l’âme.
La réforme Chirpaz semble avoir porté fruit cette année, lors du Monaco Dance Forum, un prestigieux concours d’envergure internationale. En effet, sur l’ensemble des pays participant à l’événement, l’École supérieure de danse du Québec se trouve à être la plus grosse délégation, avec ses 11 danseurs sur les 100 qui ont été sélectionnés au total. "Nous avions envoyé 11 dossiers. Ils ont tous été retenus par le jury. C’est merveilleux! Ces chiffres viennent nous prouver qu’on ne travaille pas dans le mauvais sens", lance un Didier Chirpaz plein d’enthousiasme.
L’humanisme débordant de cet homme en fait un visionnaire redoutable pour les gens qui n’aiment pas être bousculés par le changement. Surtout dans un milieu aussi conservateur que celui du ballet. "Toutes les certitudes sont fatalement fausses un jour. Les miennes, comme celles des autres. C’est pourquoi je crois qu’on ne se trompe jamais: on change simplement d’idée", conclut finalement Didier Chirpaz, pour qui le progrès passe d’abord par un perpétuel renouvellement.