L'Ouvre-boîte : Denrée périssable
Scène

L’Ouvre-boîte : Denrée périssable

Avec le temps, même les meilleures lames perdent leur tranchant… Quelque 25 ans après sa création québécoise au TNM avec Jean-Louis Roux et Yvon Deschamps, c’est un Ouvre-boîte aux dents émoussées que propose la Compagnie Jean Duceppe, qui a choisi de miser sur la réunion des vieux complices Rémy Girard et Normand Chouinard, sans trop se soucier de l’état de l’écrin choisi pour mettre en valeur ces brillants comédiens. Ce qui n’empêche pas cette étude sur le pouvoir de susciter chez le public une hilarité bien réelle, qui n’a rien du rire en conserve…

Avec le temps, même les meilleures lames perdent leur tranchant… Quelque 25 ans après sa création québécoise au TNM avec Jean-Louis Roux et Yvon Deschamps, c’est un Ouvre-boîte aux dents émoussées que propose la Compagnie Jean Duceppe, qui a choisi de miser sur la réunion des vieux complices Rémy Girard et Normand Chouinard, sans trop se soucier de l’état de l’écrin choisi pour mettre en valeur ces brillants comédiens. Ce qui n’empêche pas cette étude sur le pouvoir de susciter chez le public une hilarité bien réelle, qui n’a rien du rire en conserve…

Dans Le Tourniquet (1972), devenu L’Ouvre-boîte au Québec, le comédien et auteur français Victor Lanoux se penche sur l’égoïsme humain. Jean (le civilisé) et Jacques (le primitif), seuls survivants d’un cataclysme, se réfugient dans un bunker – transformé en sous-sol encombré d’une tour à bureaux par le concepteur Claude Goyette. Pour se nourrir, ils n’ont que quelques gâteaux et beaucoup, beaucoup de conserves de petits pois. Tout se passe relativement bien, jusqu’à ce que le négligent Jacques, qui a un pois chiche dans la tête, perde l’ouvre-boîte…

Au début de la représentation, les comédiens s’avancent sur la scène en robe de chambre et demandent à un spectateur de piger le nom du personnage qu’ils incarneront. Le soir de ma présence, le hasard a voulu que Rémy Girard incarne le naïf Jacques, tandis que Normand Chouinard devenait le rusé Jean. Les deux personnages expliquent ensuite que chaque fois qu’ils prononceront le nom du commanditaire du spectacle, ils empocheront vingt-cinq sous, d’où la présence de deux écrans au-dessus de la scène, question de permettre au public de suivre, comme lors d’un téléthon, la progression de la cagnotte… Était-ce bien nécessaire?

Cet affrontement plutôt convenu entre le travailleur manuel et l’intellectuel, la cigale et la fourmi, l’instinct et la raison, est heureusement mené par deux acteurs au sommet de leur art, habilement dirigés par la metteure en scène Martine Beaulne, qui en est à sa première incursion chez Duceppe mais qui connaît les deux interprètes depuis leurs débuts communs, dans une troupe universitaire, il y a une trentaine d’années. Impossible de résister à ces clowns en sous-vêtements, hilarants lorsqu’ils méditent côte à côte… ou tentent de s’assassiner sauvagement! Leur joyeuse complicité est le plus grand attrait du spectacle, autrement marqué du sceau de son époque, très guerre froide et prêchi-prêcha. Même l’humour de Lanoux est daté, et certains gags s’étirent bien inutilement…

Malgré leur ventre vide, nos deux affreux jojos réfléchissent beaucoup et bougent sans cesse, dans un espace où un éclairage au néon révèle des lits superposés, une bicyclette stationnaire et des rebuts industriels de toutes sortes. À voir toute cette quincaillerie, certains auront envie de hurler, comme des enfants, des conseils aux deux survivants, décidément bien peu inventifs une fois privés de leur précieux ouvre-boîte. M’enfin…

L’important est ailleurs, dans le symbole et dans le rire, dans la fusion de deux "je" en un "nous", dans la multiplication des pitreries et, surtout, dans le plaisir généreux et contagieux d’un duo d’interprètes poids lourd.

Du 7 janvier au 8 février
Au Théâtre Jean-Duceppe