Luce Pelletier : La tragédie humaine
Scène

Luce Pelletier : La tragédie humaine

Les cycles se suivent mais ne se ressemblent pas pour le Théâtre de l’Opsis, qui se lance sur les traces du mythique Oreste après avoir marché durant trois ans sur celles de Tchekhov. LUCE PELLETIER amorce la série avec la tragédie antique Oreste, d’Euripide. Ça va saigner…

Elle l’appelle sa tragédie rock. Pour lancer le Cycle Oreste du Théâtre de l’Opsis, Luce Pelletier s’offre un bain de sang en compagnie de fougueux jeunes comédiens, et de quelques vieux complices. Avec eux, elle s’immerge dans la triste histoire d’Oreste, le vilain garçon coupable d’avoir égorgé sa mère pour venger son père. La version de la légende retenue pour inaugurer ce cycle consacré au frère d’Électre est celle du poète Euripide, qui a écrit Oreste il y a plus de 2400 ans.

Rencontrée quelques jours avant Noël, la directrice de l’Opsis assure qu’il n’a pas été facile de dire adieu à son cher Tchekhov, inspiration de sept productions théâtrales, de lectures publiques, d’ateliers et de tournées. Depuis, il a fallu repartir à zéro; Luce Pelletier a fait beaucoup de recherches, organisé une classe de maître avec le directeur d’un festival de théâtre grec ancien venu de Chypre, et dirigé un premier round de répétitions, au printemps dernier.

Tout doucement, elle s’est laissé séduire par son nouveau protégé. "Que sait-on d’Oreste? Il a tué sa mère, mais est-ce un petit chien fou qui a dit oui pour faire plaisir à sa soeur, ou un gars qui a du cran? J’ai découvert qu’il n’y a pas une légende d’Oreste, mais plusieurs. Notre défi au cours du cycle, c’est donc de démontrer au public qu’il y a mille façons de raconter la même histoire."

L’auteur de Médée et des Troyennes situe l’action six jours après le matricide, alors qu’Oreste et Électre attendent le jugement de l’assemblée des citoyens d’Argos, qui peut les condamner à la mort, sinon à l’exil. "C’est le seul poète tragique qui ait privilégié cet axe, qui ait creusé ce qu’est la culpabilité, ce qu’est la folie. Il y a une violence et une urgence sans pareilles dans ce texte. C’est un avant-gardiste, qui a renié la croyance voulant que ce soient les Dieux qui décident tout. Il a fouillé la nature humaine et voilà pourquoi, aujourd’hui, c’est le tragédien le plus joué, celui qui est le plus proche de nous."

Convaincus qu’ils n’ont plus d’avenir, Oreste, Électre et Pylade se lancent dans une orgie de violence, qui rappelle à Luce Pelletier celle des tueurs de masse contemporains, qui vident leurs chargeurs sur des inconnus. "Ils sont comme possédés, fous, bien décidés à ne pas mourir seuls. C’est désolant de constater que depuis le début des temps, l’homme est ainsi, et qu’on n’en sortira jamais!"

Une violence au visage d’ange
Pour incarner le trio infernal, Luce Pelletier voulait de jeunes acteurs. En audition, elle a choisi Guillaume Champoux pour le rôle-titre, Louise Cardinal et Éric Paulhus. "Oreste a 18, 20 ans tout au plus. C’est un bébé lorsque la guerre de Troie commence. C’est certain qu’un comédien de 40 ans est meilleur, qu’il a plus d’expérience, mais j’ai recruté des jeunes pour avoir leur fougue, leur énergie. Cette pièce est très violente, elle a un petit côté démoniaque; avec trois jeunes au visage angélique et au sourire en coin, on dirait que cela passe mieux… quitte à avoir à travailler plus fort pour les encadrer", ajoute-t-elle en riant.

Autour d’eux, des piliers. D’abord Albert Millaire, qui a fait ses premiers pas au TNM en 1960, dans… Oreste ou les Choéphores. Cette fois, il incarne Tyndare, le père d’Hélène. "C’est un virtuose de la langue, qui n’a pas été avare d’aide envers les jeunes", raconte la metteure en scène, épatée par la générosité des plus expérimentés. La distribution compte aussi Annick Bergeron, Antoine Durand, Emmanuelle Jimenez, Audrey Lacasse et Monique Spaziani.

Pour leur faciliter la tâche, Luce Pelletier a, dit-elle, "traficoté" le texte. "Ainsi, les jeunes spectateurs pourront s’identifier à la détresse de ces personnages sans que leur compréhension ne soit entravée par la langue." Pleureront-ils devant la tragédie d’Oreste, comme la metteure en scène avoue l’avoir fait ce matin-là, en répétition? Devant son enthousiasme communicatif, la chose semble possible. "Une tragédie, pour moi, c’est un grand cri: ça part, ça monte, ça ne donne pas de morale, mais il faut que ça monte, que ça nous atteigne… J’espère que les jeunes spectateurs comprendront que la violence appelle la violence, qui appelle la violence, sans fin."

Depuis 20 ans, Luce Pelletier poursuit avec application son travail de cartographe de la nature humaine. L’initiatrice du Cycle Oreste aime passionnément, "depuis toujours et pour toujours", la tragédie antique et l’immensité de ses drames. "On est dans les sentiments à l’état brut et cela rejoint ce qui m’intéresse dans le théâtre. J’aime travailler sur ce qui est là, devant moi. Et la tragédie me fournit amplement matière à travailler sur l’humain."

Du 14 janvier au 8 février
À l’Espace Go