David Savard : Le jeu de la vérité
DAVID SAVARD aime les rôles exigeants. Après avoir joué une Française dans Les Feluettes, le comédien se remet en bouche les histoires inventées du Menteur de Corneille. Un personnage qu’il avait brillamment défendu il y a trois ans, dans un spectacle très apprécié que le Théâtre Denise-Pelletier a la bonne idée de reprendre.
D’entrée de jeu, David Savard m’avertit qu’il n’est "pas très bon dans les entrevues". "Je ne suis pas un verbo-moteur, explique le comédien. J’observe, plutôt. Je viens d’un milieu où j’étais entouré de gens de peu de mots: on n’avait pas besoin de se parler beaucoup pour se comprendre. J’en fais presque un complexe, de ne pas avoir la confiance de prendre la parole. Je n’ai pas énormément de vocabulaire – contrairement à mon personnage dans Le Menteur!" Mais qu’on se rassure: dans ce cas précis, sa mise en garde initiale se sera finalement révélée une contrevérité…
Les mots, le comédien les a pourtant maîtrisés avec une brillante assurance dans Le Menteur, où son personnage multipliait les entorses à la vérité. Et pas n’importe quels mots: des vers de Corneille. Martin Faucher avait délicieusement rafraîchi cette comédie du milieu du 17e siècle, parsemée de clins d’oeil contemporains. Un bain de jouvence qui a valu au spectacle plusieurs louanges et quelques prix, dont le Masque de la meilleure production montréalaise en 1999-2000. Mais la production du Théâtre Denise-Pelletier n’avait pourtant pas fait le plein de public étudiant, à cause du boycott des activités pédagogiques par les syndicats d’enseignants.
Trois ans plus tard, David Savard est ravi de reprendre la pièce, qui entamera ensuite une tournée québécoise de deux mois. "C’est un personnage extraordinaire pour moi. Il comporte tout ce que j’aime au théâtre. J’aime être sur scène, et il est présent pratiquement pendant toute la pièce. De plus, c’est physique, et Martin a travaillé avec beaucoup de finesse. Il a vraiment créé quelque chose de vivant; c’est très snappy, les échanges sont comme du ping-pong." Ajoutez que ce gars de gang savoure la complicité ludique qui règne dans l’équipe du Menteur. Et ce, même si la distribution de cette seconde version compte à la fois des "anciens" (Stéphane Simard, Pierre Collin, Gabriel Sabourin, Lucie Paul-Hus…) et des recrues (Roxanne Boulianne remplace Pascale Desrochers; Michel Olivier Girard a pris la place d’Éric Bernier, entre autres).
Issu de la promotion 1994 du Collège Lionel-Groulx, qui forma la troupe Les Enfants de Bacchus et obtint un hit avec son spectacle de finissants Arlequin, serviteur de deux maîtres, David Savard tient solidement son bout sur les scènes montréalaises depuis. Il a beaucoup pratiqué les classiques (L’Avare, La Cerisaie), jouant notamment les "jeunes Italiens fougueux"! sous la direction de Claude Poissant (Lorenzaccio, Lucrèce Borgia, Ce soir on improvise).
Avec Le Menteur, il a décroché son premier rôle principal: celui de Dorante, si habile à inventer des histoires qu’on peut y voir un poète. "C’est agréable à jouer, parce que moi, je ne suis pas un très bon menteur dans la vie. J’ai pas de crédibilité quand je me mets à mentir!" rigole le comédien. Et si Dorante fabule, c’est d’abord pour séduire. "Il s’invente un passé de héros, parce que ça lui donne plus de pouvoir pour draguer les filles. Mais tout ça innocemment, sans aucune malice. C’est ce qui fait qu’on lui pardonne tout, qu’on a le goût qu’il continue, et qu’on est content quand il s’en sort."
A beau mentir qui vient de loin
S’il n’a pas le verbe aussi facile que Dorante, David Savard rejoint son personnage ailleurs. "Dorante ment parce qu’il débarque de Poitiers et veut être apprécié par les gens de Paris, explique l’acteur originaire de Dolbeau. Il veut être hot! (rires) Il ment vraiment pour essayer d’être à la hauteur. Et pour plaire. C’est proche, même, du métier d’acteur qui est en représentation. Toujours ce besoin qu’on a d’être accepté, mais aussi d’être à la hauteur. Moi, en tout cas, plus je vieillis, plus je suis exigeant envers moi-même."
Sur le plan de la rigueur technique, par exemple, David Savard a soigneusement travaillé la musique du texte cornélien: "La versification, c’est de l’ouvrage." C’est un aspect qu’il juge important – et parfois négligé. Le comédien, qui a l’oreille fine, s’enrage parfois devant le laisser-aller de certains spectacles où les accents s’éparpillent dans toutes les directions. "Je trouve que certains acteurs ou actrices manquent de rigueur, comme s’ils s’en foutaient que techniquement ce ne soit pas impeccable. Quand on entend trois niveaux de langue dans une pièce censée être en français international, ça me choque. Et j’espère ne pas perdre cette rigueur-là."
Le comédien, qui vient tout juste d’incarner dans Les Feluettes une Lydie-Anne au verbe net et à l’impressionnante… féminité, adore les rôles exigeants. "J’aime que ça ait l’air facile, tout en sachant que je travaille très fort. Mais je suis ben difficile à contenter. Je suis très exigeant envers moi-même, et il faut que je fasse attention. Parfois, ça devient presque trop, comme si je tournais trop les affaires vers moi. Plutôt que de dire: je fais ce que j’ai à faire dans le show, et je pense que ça va. Et en même temps, c’est aussi une qualité, parce que ça m’amène à essayer de me dépasser. Je veux être à la hauteur, c’est sûr. Le théâtre, c’est mon métier. Je m’y sens en confiance. Parfois je me dis: laisse aller un peu. Mais à d’autres moments, je me dis: c’est bien; sois exigeant, et tu vas continuer à travailler…"
Du 24 janvier au 15 février
Au Théâtre Denise-Pelletier