Le Bruit des camions dans la nuit : Fausse route
Scène

Le Bruit des camions dans la nuit : Fausse route

Sang, sperme, bière et poésie: voilà ce que charrie Le Bruit des camions dans la nuit, premier texte de Martin Pouliot à être monté sur une scène professionnelle. Cette tragédie poétique met en scène trois enfants martyrs vivant en bordure d’une autoroute, bien décidés à démontrer que "l’espoir, c’est rien que du vent pis ça mène nulle part". Du théâtre masochiste, dur et désagréable, à déconseiller aux dépressifs. Heureusement, la mise en scène dynamique de Michel Bérubé et l’interprétation inspirée d’Isabelle Roy, Patrick Hivon et Olivier Morin contribuent à faire surgir de cette grande misère une certaine beauté.

Sang, sperme, bière et poésie: voilà ce que charrie Le Bruit des camions dans la nuit, premier texte de Martin Pouliot à être monté sur une scène professionnelle. Cette tragédie poétique met en scène trois enfants martyrs vivant en bordure d’une autoroute, bien décidés à démontrer que "l’espoir, c’est rien que du vent pis ça mène nulle part". Du théâtre masochiste, dur et désagréable, à déconseiller aux dépressifs. Heureusement, la mise en scène dynamique de Michel Bérubé et l’interprétation inspirée d’Isabelle Roy, Patrick Hivon et Olivier Morin contribuent à faire surgir de cette grande misère une certaine beauté.

Tirés trop tôt de l’enfance, Vivie, Cricri et Loulou ne rêvent que d’une chose, c’est qu’un 18 roues leur passe sur le corps. Voilà pour l’espoir. Dès qu’ils entendent le vrombissement d’un moteur, ils prient de tout coeur pour que le prochain véhicule lourd rate son virage et percute leur maison. En attendant cette délivrance, ils inventent des jeux cruels et espionnent le Père, toujours à boire, toujours seul… sauf quand il pose ses grosses mains sales sur Vivie, prisonnière d’un fauteuil roulant.

Incarnée par Isabelle Roy, cette pauvre Vivie – comme dans "vie" -, rejetée par ses frères, regagne progressivement leur estime, obstinée et tendre malgré les tortures qu’ils lui infligent. Une interprétation nuancée de la comédienne à la grâce enfantine. Dans le rôle de Cricri – comme dans "cri" -, Olivier Morin est attendrissant, parfait petit soldat déterminé et obéissant, prêt à tout pour plaire à son frère Loulou – comme dans "loup" -, un Patrick Hivon énergique, très juste en cruel petit chef qui rêve d’anarchie, "parce que la révolution, c’est trop long".

Leur talent est mis en valeur par l’ingénieux travail de Michel Bérubé, qui a imaginé avec le scénographe Jean Bard un énorme cube suspendu dans lequel grimpent les deux frères. Entre ces acrobaties, les interprètes ne ralentissent pas la cadence; ils se griffent, se chamaillent, se chatouillent, se mordent et s’insultent. Parfois, ils incarnent ce Père qu’on ne verra jamais, la main dans le caleçon. Une guitare électrique et des micros sur pied ajoutent une touche rock à la tragédie de ces enfants qui se torturent pour s’endurcir, à la manière des jumeaux cruels d’Agota Kristof, dont ils pourraient être les cousins.

À moins qu’ils ne soient les descendants du Léopold d’À toi, pour toujours, ta Marie-Lou de Michel Tremblay. Ce père assoiffé choisissait de s’enlever la vie, et de tuer une partie de sa famille, en fracassant sa voiture sur un pilier de béton; cette fois, ce sont les rejetons d’un père du même acabit qui veulent mourir sur la route. La pièce de Pouliot nous fait voir que 30 ans plus tard, les mêmes chaînes entravent la famille québécoise. Triste constat.

Si les envolées poétiques de l’auteur de Québec permettent – par moments – de décoller de ce réel si dur, et de souffler un peu, reste qu’on se prend tôt ou tard à espérer qu’un camion vienne enfin mettre un terme à ce voyage en enfer. Plus déprimant qu’émouvant.

Jusqu’au 8 février
Au Théâtre d’Aujourd’hui