Oreste : Sang pour sang tragique
Scène

Oreste : Sang pour sang tragique

Quand la pièce d’Euripide commence, l’irréparable est déjà accompli. La noirceur a à peine recouvert la salle de l’Espace Go qu’un grand cri glaçant retentit. La vision d’Oreste le matricide poursuivi par les Érinyes, sombres créatures voilées, cauchemardesques images du remords, a quelque chose de  saisissant.

Quand la pièce d’Euripide commence, l’irréparable est déjà accompli. La noirceur a à peine recouvert la salle de l’Espace Go qu’un grand cri glaçant retentit. La vision d’Oreste le matricide poursuivi par les Érinyes, sombres créatures voilées, cauchemardesques images du remords, a quelque chose de saisissant.

C’est ainsi que débute le second cycle de l’Opsis. L’intéressante compagnie d’exploration n’a pas choisi la voie de la facilité en faisant du personnage d’Oreste le successeur de Tchekhov, un auteur qui lui seyait si naturellement. Mais ce personnage pitoyable et effrayant, qui venge l’assassinat de son père en répandant le sang de sa mère, brasse des questions qui nous occupent encore, hélas: a-t-on le droit de se faire justice soi-même? Les meurtriers méritent-ils la mort? Le sang doit-il appeler le sang? C’est ce que doit décider la cité d’Argos, en pesant le sort réservé à Oreste et à sa soeur et complice, Électre.

Intelligible et clair, le texte fort bien adapté par Luce Pelletier se concentre sur les enjeux de la tragédie en faisant l’économie de longs monologues (le récit de la funeste assemblée des citoyens d’Argos est plutôt bien dynamisé). La metteure en scène s’emploie d’ailleurs à rendre accessible la tragédie vieille de 2400 ans.

Avec leurs coiffures hérissées et l’esthétique plutôt contemporaine des costumes de François Barbeau, les trois jeunes à l’avant-plan d’Oreste prennent l’allure d’ados révoltés. Portrait d’une jeunesse sacrifiée par ses aînés, sans avenir, qui décidera, au moins, de rendre le compliment par le massacre. Cette fureur de vivre qu’on leur refuse, ils la détourneront vers la mort.

Les jeunes interprètes choisis par Luce Pelletier ne manquent pas de fougue ni de conviction, surtout Louise Cardinal, en rageuse Électre, qui éclipse même un peu son comparse Guillaume Champoux dans le rôle-titre, qui charrie pourtant bien la folie du Oreste hagard du début. Quant à l’interprétation d’Éric Paulhus, elle n’a rien de très classique… Ils sont épaulés solidement par Annick Bergeron, Monique Spaziani, Antoine Durand en Ménélas et Albert Millaire, qui déploie une grande autorité en Tyndare courroucé.

Reste que, pour immortelle et fondatrice qu’elle soit, la tragédie grecque fait appel à des sentiments extrêmes, registre difficile à atteindre à une époque plus près de la dérision ou du sentimental. Les excès des jeunes, transformés en sauvages sanguinaires, ne passent pas toujours bien la rampe…

Avec ce premier jalon du Cycle Oreste, Luce Pelletier pose néanmoins une réflexion réussie sur la perpétuation de la violence et la façon dont les Hommes tendent à se déresponsabiliser de leurs actes – une manie bien contemporaine. Oreste rejette ainsi sa faute sur Apollon, qui a ordonné son crime. Un deus ex machina qui fera d’ailleurs une intervention in extremis pour arranger les choses, en appelant à la "plus belle des déesses: la paix".

Ah, si c’était si simple… L’intelligente finale du spectacle remet plutôt les pendules à l’heure humaine. Morale – très actuelle et pessimiste – de l’Oreste de l’Opsis: les êtres humains disposent de leur libre arbitre, et pas davantage il y a deux millénaires qu’aujourd’hui on ne peut compter sur un dieu pacificateur pour apaiser l’inextinguible soif de sang des hommes…

Jusqu’au 8 février
À l’Espace Go