Au bout du fil : L'enfance de l'art
Scène

Au bout du fil : L’enfance de l’art

Le nouveau bébé de l’auteure Évelyne de la Chenelière et du metteur en scène Daniel Brière, Au bout du fil, est une oeuvre de jeunesse un peu lâche et dispersée, mais où l’on reconnaît le regard attendri de la dramaturge. Plaisir candide.

Comment ne pas être attendri par les imperfections du premier texte dramatique d’Évelyne de la Chenelière? L’auteure et comédienne pose sur ses semblables un regard si tendre et empathique qu’on est tenté de lui rendre la pareille. Au bout du fil est une oeuvre de jeunesse à la fois maladroite et mature, jouée avec un plaisir complice par plusieurs générations de comédiens. Du théâtre naïf qui touche à l’essentiel. Inégal mais pas inintéressant.

L’union artistique d’Évelyne de la Chenelière et du metteur en scène Daniel Brière continue de donner de beaux résultats. Après le succès de leur duo Henri & Margaux, créé l’automne dernier, ils montent à l’invitation du Quat’Sous la toute première pièce de l’auteure des Fraises en janvier, une oeuvre fantaisiste pour grands enfants écrite par une petite fille de 23 ans, dans laquelle un groupe de vieillards nostalgiques se livre à une "activité pêche", avec des cannes mais sans hameçons. Conscients de l’absurdité de la chose, ils se remémorent leur enfance pour passer le temps.

Daniel Brière met en scène avec beaucoup de délicatesse cette succession de tableaux impressionnistes, où les protagonistes évoquent le passé à coups de "Moi, ma maman…" et d’aphorismes qui font sourire. Bien qu’attachants, ces enfants au visage plissé sont des peureux qui se plaignent que "c’est mal organisé ici" mais qui craignent par-dessus tout de prendre des initiatives. D’où leur nostalgie de cette époque bénie où des parents attentionnés veillaient sur eux. Les tenues enfantines de Mérédith Caron, le décor ludique de Louise Campeau, les éclairages travaillés de Stéphane Mongeau et la musique de Jean Derome ajoutent un charme mélancolique à ces réflexions candides.

Le génie du couple est d’avoir recruté une distribution surprenante et très talentueuse, composée de Jean-Pierre Ronfard, Paul Savoie, Michelle Rossignol, Huguette Oligny, Jacques L’Heureux, Igor Ovadis, Catherine Bégin, Néfertari Bélizaire, Denis Gravereaux et Daniel Parent. Parmi les plaisirs de la soirée, il y a celui de rigoler des efforts de Paul Savoie pour écrire le classique qui impressionnera son père, ou des manigances de Jacques L’Heureux, un petit bum qui vole le sifflet du surveillant pour rendre à la troupe une liberté dont elle ne veut pas. Igor Ovadis est irrésistible en petit homme trop gentil et Denis Gravereaux, extraordinaire dans le rôle du vieil amoureux éconduit mais intarissable quant aux charmes de la femme de sa vie, incarnée par Huguette Oligny, magnifique avec sa longue crinière blanche.

Dommage toutefois que ces scènes ne soient liées… que par un fil à pêche. La structure de la pièce aurait gagné à être resserrée. Ça part dans toutes les directions et ça manque parfois de tonus. L’auteure a préféré ne pas modifier ce texte qui date de 1998 pour en préserver la spontanéité, un choix qui se défend. Si elle multiplie les pistes, au moins la pièce n’a-t-elle pas perdu en cours de route ce petit quelque chose qui la rend si attendrissante…

Jusqu’au 15 février
Au Théâtre de Quat’Sous