Le roi se meurt : Le débat de la fin
Scène

Le roi se meurt : Le débat de la fin

JEAN-SÉBASTIEN OUELLETTE aime jouer. "Pour le plaisir de me faire accroire des affaires, comme quand j’avais six, huit ans, et qu’on faisait semblant de courir dans les bois avec des arcs: c’est encore ce désir-là." Il revêt cette fois le costume d’un souverain; le ton, cependant, n’est plus celui de l’enfance, puisque Le roi se meurt.

Dès le début de la pièce, Bérenger 1er apprend qu’il n’a plus qu’une heure trente à vivre. Commence alors le dernier parcours du Roi qui, du refus horrifié, passe peu à peu à l’acceptation de la mort, et aux adieux à tout ce qui lui est cher. Autour de lui, ses proches, incarnés par Yves Amyot, Marie Gignac, Linda Laplante, Roland Lepage et Denise Verville, l’accompagnent, l’aident à cheminer vers la fin; à un rythme égal à celui de la progression de la mort, tout le royaume s’abîme et se défait.

Pièce écrite en 1962 par un des grands dramaturges du XXe siècle, Le roi se meurt, réponse de Ionesco à sa propre angoisse devant la mort, est une oeuvre profonde et riche de sens. Au-delà des multiples interprétations possibles, l’approche de Gill Champagne, metteur en scène, et de son équipe se fait du point de vue de l’être humain confronté à sa fin. "On a vraiment choisi de présenter la mort d’un homme, plutôt que d’aller dans l’allégorie", explique Jean-Sébastien Ouellette. Ni emblème de tous les rois de ce monde, ni incarnation d’un pouvoir politique et de sa déchéance, Bérenger est tout simplement un humain qui meurt, et qui voit son royaume – "sa vie, ou l’univers qu’il s’est créé dans sa tête" – s’écrouler avec lui.

Qu’en est-il de ce royaume? La lecture de Champagne, qui travaille avec les concepteurs Yves Dubois, Denis Guérette, Jean Hazel et Catherine Higgins, laisse au spectateur le soin de répondre. "On peut voir le corps du roi comme son royaume. Chaque fois que quelque chose se brise, c’est parce qu’il meurt un peu plus. Mais est-ce que Bérenger est un vrai roi? Est-ce que toute cette pièce se passe réellement, ou juste dans sa tête? On laisse cette marge-là: plutôt que d’imposer une image au spectateur, on le laisse choisir sa propre métaphore."

Le comédien travaille ici pour la deuxième fois avec Gill Champagne, après Meurtre au printemps dernier, et juste avant Marie Tudor, plus tard cette saison. Il a découvert en lui un metteur en scène très attentif à la parole. "Dans la pièce de Ionesco, on doit donner ces mots-là au public, les rendre avec toute l’humanité qu’on a. C’est très important que le texte soit en avant, parce que c’est une grande oeuvre. Le texte est là; il faut qu’on le joue le plus vrai possible, mais dans une situation, un espace et des images qui ne sont pas réalistes."

Ce grand rôle, qui s’inscrit dans une série de personnages de plus en plus diversifiés qu’on offre à Jean-Sébastien Ouellette, lui semble un peu angoissant mais surtout, très enthousiasmant. "C’est stimulant d’explorer de nouvelles sphères, d’aller plus loin, d’élargir sa palette. En plus, c’est une belle preuve de confiance de la part de Gill de me donner ce rôle-là, à 32 ans."

Ce faisant, le metteur en scène donne à Bérenger, traditionnellement joué comme un vieux roi, un relief particulier, soulignant la fragilité de la vie et l’imprévisibilité de la mort. Le personnage, roi de 30 ans, se rapproche aussi du comédien. "Je n’ai pas fait de composition pour jouer le roi. J’ai essayé de partir de ce que je suis, et de me mettre dans cette situation-là: je joue moi, si je mourais. C’est sûr qu’il a plein de défauts. Par exemple, il est très égocentrique. Mais pour une personne en train de mourir, la mort oblige à renoncer à soi-même; le monde autour va continuer même après son départ. J’imagine qu’on doit vraiment, à ce moment-là, se refermer sur soi et dire "Je veux, je suis, je, moi". C’est comme ça que j’explique son égocentrisme: Bérenger est confronté à la mort, seul. Il est bien sûr accompagné, mais c’est quand même lui qui va faire le dernier pas."

Même si le sujet du Roi se meurt paraît sombre, "il y a quelque chose d’assez "blanc" dans la pièce. Le texte parle du refus de mourir, mais c’est avant tout une ode à la vie, à la beauté de la vie".

Du 28 janvier au 22 février
Au théâtre de la Bordée

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