Lucie Grégoire : Danseuses étoiles
Scène

Lucie Grégoire : Danseuses étoiles

Hatysa ou l’envers d’une étoile s’inspire d’un séjour effectué par Lucie Grégoire dans un petit village de nomades en bordure du Sahara. La chorégraphe nous parle de cette création qui traite de la fragilité, mais aussi de la solidarité humaines.

Le voyage nous sert, dans bien des cas, d’outil de connaissance du monde. Pour Lucie Grégoire, il est nécessaire à la création. Sa toute dernière pièce, Hatysa ou l’envers d’une étoile, porte d’ailleurs les traces d’un séjour, effectué par la chorégraphe, dans un petit village de nomades en bordure du Sahara. Le même qui avait inspiré Fragile lumière, deux ans auparavant.

En outre, ces deux oeuvres ont un point en commun: l’expérience de la vulnérabilité du corps à la suite d’une blessure. En danse, ce genre d’incident est souvent synonyme de "remise en question" pour l’interprète qui se retrouve subitement face au désert de l’inactivité, alors que l’objet de ses transports – tant au sens propre que figuré – était justement le mouvement.

Le choix qu’a fait Lucie Grégoire dans Hatysa… d’agir uniquement comme chorégraphe pour la première fois – et non comme interprète – a donc été en partie dirigé par cette blessure. Avec deux titres évoquant la fragilité et l’envers de ce qui est lumineux, nous sommes inévitablement projetés au centre du thème de l’introspection de zones plus sombres et vulnérables de l’individu.

Une thématique qui peut tout aussi bien nous renvoyer à la solitude qu’à la véritable amitié – la seule d’ailleurs à survivre à l’aride climat dans lequel vit, au tout début, un être qui se retrouve tout à coup confronté à sa propre fragilité.

Heureusement pour notre artiste voyageuse, son statut de créatrice lui procure une certaine immunité face à l’expérience du vide intérieur. D’où ce parallèle fréquent, dans son processus de création, entre ces lieux n’ayant comme unique paysage qu’une ligne d’horizon semblant s’étendre à l’infini et la vertigineuse profondeur de l’être humain.

"J’ai toujours aimé les déserts… les grands espaces, me dit-elle, car il s’y cache bien des trésors. Les gens qui y vivent sont, par nécessité, solidaires." Déjà pour Vers le haut pays (1992), elle avait été inspirée par les vastes arpents de neige de l’Arctique. Dix ans plus tard, après être passée par l’univers post-apocalyptique du Voyage d’Anna Blume de Paul Auster, en 1994, pour sa pièce Les Choses dernières, elle replonge dans le silence des immenses espaces qui lui sont familiers, afin de mettre en relief l’authenticité des rapports humains qui s’y trament.

Élan festif
"Quand nous fêtions dans ce petit village du désert, me raconte la chorégraphe, les hommes et les femmes se retrouvaient réunis à travers le rythme et la danse. Lors de cette célébration de la vie, chacun y trouvait son rôle et son propre engouement… autant celui qui tapait avec un bout de bois sur une bouteille que celle qui dansait, emportée par les variations rythmiques progressives. L’énergie qui se dégageait de cet élan festif est d’ailleurs devenue l’une de mes principales sources d’inspiration pour Hatysa…"

Mais aussi, la musique aura été une source d’inspiration pour l’écriture chorégraphique: "Robert Marcel Lepage, un compositeur avec qui je travaille depuis un certain moment, m’avait dit qu’il collaborerait volontiers à mon projet, mais en me donnant cette fois-ci le défi de créer à partir de sa musique, et non le contraire, comme c’était le cas habituellement. Ça m’amusait… j’ai accepté."

Dans cette pièce, les danseuses Monica Gan, Maria Kéfirova, Sandra Lapierre, Zoë Poluch et Élise Vanderborght se partageront la scène lors d’envolées chorégraphiques finement mises au point par Lucie Grégoire dans le but de nous révéler toute la richesse poétique que cette dernière a pu capter en présence de ce peuple nomade du Sahara. "Quand je travaille en compagnie de mes interprètes, j’essaie de faire ressortir de chacune d’entre elles ce qui donnera une lumière singulière à la constellation qu’elles formeront sur scène. Quand je parle d’étoile, dans mon titre, je fais surtout allusion à une texture lumineuse qui s’en dégage et qui produit aussi une énergie transmissible. Pour moi, cette petite fête dans le désert, c’était également une forme de constellation…"

C’est donc ce feu stellaire que la chorégraphe montréalaise veut nous transmettre à travers le mouvement quasi moléculaire de ses cinq interprètes féminines. Du macrocosme au microcosme, nous passerons de l’infiniment grand à l’infiniment petit en l’espace d’une fraction d’énergie. Cela, sous une scénographie uniquement lumineuse élaborée par le concepteur d’origine tchèque Jan Komarek.

Lucie Grégoire semble en être rendue à un stade important de sa carrière. La passion qu’elle nourrit grâce à ses créations, depuis bientôt une vingtaine d’années, a atteint un point de maturité qui se reflète dans la manière singulière dont elle traduit en mouvement ses expériences de vie.

Du 12 au 15 et du 19 au 22 février
À l’Agora de la danse