Michel Marc Bouchard et Barbara Nativi : Mariage à l'italienne
Scène

Michel Marc Bouchard et Barbara Nativi : Mariage à l’italienne

La metteure en scène italienne Barbara Nativi met au monde Les Manuscrits du déluge, la nouvelle création de Michel Marc Bouchard. Une joyeuse collaboration pour une pièce méditative traitant de l’abandon… des parents.

Michel Marc Bouchard et Barbara Nativi travaillent à l’italienne, avec exubérance, échanges passionnés et rires en cascades. À l’invitation du Théâtre du Nouveau Monde, l’auteure, metteure en scène et directrice artistique du Teatro della Limonaia et du Festival international Intercity à Florence créera Les Manuscrits du déluge, de l’auteur des Feluettes, des Muses orphelines et d’une vingtaine d’autres pièces, traduites en 10 langues. "La plus méditative et poétique de mes créations", précise Bouchard. Attablés dans la salle de lecture du TNM, les deux globe-trotters en discutent avec une ferveur… toute méditerranéenne.

Leur rencontre remonte à 10 ans. À la tête d’un festival dédié à la nouvelle dramaturgie internationale, Barbara Nativi invite Michel Marc Bouchard pour une édition consacrée aux créateurs montréalais. Pour l’occasion, la pièce Les Feluettes est traduite et mise en espace. Plus tard, ce sera au tour du Voyage du couronnement et du Chemin des
Passes-Dangereuses. La femme-orchestre signe ensuite une version italienne des Belles-Soeurs, de Michel Tremblay, qui tourne durant cinq ans, avant d’être présentée avec succès à Montréal il y a trois ans. La voilà donc de retour pour donner vie à ces Manuscrits écrits à l’invitation du Festival international de Melbourne, en collaboration avec le Canadian Stage de Toronto, dans un théâtre si grand qu’ils avouent tous deux en avoir le vertige…

La prémisse des Manuscrits intrigue. Dans un village déserté par tous les jeunes, sauf Danny-l’Enfant-Seul, des hommes et des femmes se réunissent pour colliger leurs souvenirs. Un jour, c’est la catastrophe: un déluge dévaste tout, éventrant au passage leur salle d’écriture. Choisiront-ils de tout réécrire ou de mettre une croix sur le passé? "C’est une pièce méditative, au fil de l’eau, confie le dramaturge. Je me suis permis d’être

un peu plus philosophique qu’à l’habitude." Ce qui ne l’empêche pas d’y aborder ses thèmes de prédilection: la mémoire, la différence, les départs et les retours.

Le rôle principal, celui de Samuel, le leader du groupe "convaincu qu’il est le gardien de la Bibliothèque d’Alexandrie", sera interprété par Gérard Poirier, entouré sur scène de Louise Turcot, Monique Miller, Benoît Girard, Monique Mercure et, dans le rôle de l’enfant, Sébastien Ricard. Au fil des ans, les personnages qu’ils incarnent ont écrit sur tout, de l’arrivée du micro-ondes aux impacts de la minijupe. "Ils ont compris que l’écriture peut magnifier les choses." Tenu à l’écart, Danny leur réserve une surprise de

taille: il connaît tous leurs textes par coeur, pour avoir écouté à la porte.

Une métaphore de la mondialisation
L’auteur de L’Histoire de l’oie ne craint pas d’aborder de grandes questions, comme l’abandon de nos aînés. "Autant Les Muses orphelines parlait de l’abandon des enfants, autant celle-ci porte sur l’abandon des parents." Et ce n’est pas tout, le Déluge se veut aussi une métaphore de la mondialisation. "Nous sommes en train de standardiser la vie, de banaliser la mémoire, en se disant que les dominateurs garderont de l’Histoire ce

qu’ils veulent bien en garder."

"C’est une pièce qui pose la question: Qu’est-ce qui est important? Qu’est-ce qui est grand et qu’est-ce qui est petit?" Selon Barbara Nativi, qui a travaillé en Angleterre, en France, en Russie, en Suisse et en Hongrie, Bouchard est à l’avant-garde du théâtre produit en Amérique. "En Europe, on remarque une tendance à récupérer la mémoire personnelle, les petits morceaux de vie, pour communiquer au public la grande histoire."

On ne s’ennuie pas en compagnie de ces passionnés, qui n’ont que des bons mots l’un pour l’autre. "Ce qui me plaît dans l’écriture de Michel Marc, c’est ce mélange révolutionnaire entre l’humour et la tragédie. Grâce à son grand sens de l’humour et à sa conscience de la tragédie, le rire du public n’est pas vide, ne sert pas qu’à remplir les salles. C’est un homme très intelligent, qui nous permet de redevenir des enfants."

Ce à quoi son collègue répond: "Moi, j’apprécie sa franchise. Elle a du talent, c’est évident, mais ce que j’aime, c’est lorsque je peux avoir une véritable collaboration avec un metteur en scène. On discute de l’oeuvre avec passion, parfois même avec acharnement, sans se blesser. On travaille avec nos sensibilités, nos vulnérabilités, on est très italiens, ensemble." Autre qualité de la dame: elle vient de loin. "C’est fascinant, ce phénomène d’étrangeté. Elle a une vision différente. Avec elle, je ne risque pas de me retrouver avec le Déluge du Saguenay sur scène!"

La scénographie aussi s’annonce d’un exotisme charmant, puisque c’est le collaborateur et mari de Barbara Nativi, Dimitri Milopulos, qui l’a conçue. "Ça va être un choc culturel, s’amuse l’auteur. Disons que c’est très gréco-italien…"

Ce Déluge passé, les deux collaborateurs se retrouveront à Florence, en mai, pour la création de la pièce Le Peintre des Madones ou la Naissance d’un tableau, que Michel Marc Bouchard a écrite sur place lors d’un atelier. L’oeuvre sera reprise sous peu dans un théâtre montréalais, assure la metteure en scène, qui lance en riant: "Pas de doute, 2002-2003 sera mon année bouchardienne!"

Du 11 février au 13 mars
Au Théâtre du Nouveau Monde