Thé, sucre et amertume : Recette éprouvée
Scène

Thé, sucre et amertume : Recette éprouvée

Les créations signées conjointement par Éric Jean et Pascal Brullemans exercent une indéniable séduction. Leurs histoires intrigantes, liées par la logique du rêve et qui ne sont pas livrées clés en main au spectateur, fécondent un univers impressionniste où le théâtre est un songe. Atmosphère,  atmosphère.

Les créations signées conjointement par Éric Jean et Pascal Brullemans exercent une indéniable séduction. Leurs histoires intrigantes, liées par la logique du rêve et qui ne sont pas livrées clés en main au spectateur, fécondent un univers impressionniste où le théâtre est un songe. Atmosphère, atmosphère.

D’abord élaborée à l’UQAM en tant qu’exercice de finissants, Thé, sucre et amertume (joli titre!) reprend donc le processus créatif cher au tandem d’Hippocampe. Et certains des thèmes qui, déjà, les alimentaient dans cette belle pièce, comme la narcolepsie et, surtout, la mémoire, sujet qui les fascine visiblement. On y pénètre dans le cerveau embrouillé d’un sculpteur (Éric D’Alo), interné dans une étrange institution depuis qu’il a peut-être assassiné une femme (Anne-Renée Duhaime), devenue en quelque sorte la gardienne de son musée personnel.

Inénarrable, la pièce enchevêtre quelques histoires, dont celle d’une stagiaire myope qui tombe amoureuse d’une pensionnaire (Peggy Allen) obnubilée par la couleur rouge. Dans les coulisses, une machiavélique administratrice (Stéphanie Valois) tire les ficelles. Mais peu importent les détails de l’intrigue, Thé, sucre et amertume présente d’abord un jeu de piste entre le vrai et le faux, le réel et la folie, le souvenir et le présent, où le spectateur ne sait jamais avec certitude à quoi s’en tenir. La folle du logis, l’imagination, est au pouvoir.

Bâti au fil d’improvisations dirigées, le texte ne tient généralement pas la dragée haute dans les shows du créatif duo, où il n’est traité que comme l’un des éléments de l’ensemble. En fait, on pourrait presque dire que c’est le maillon faible du processus. C’est encore plus patent ici, où les dialogues ne retiennent guère l’attention. Pascal Brullemans et Éric Jean visent plutôt à mettre en place un univers à l’atmosphère prenante, un monde parallèle qui n’a son existence qu’au théâtre et dans lequel le public peut s’immerger comme dans un rêve.

Le spectacle présenté à Fred-Barry comporte encore son lot d’effets oniriques évocateurs, caractéristiques de l’art d’Éric Jean. Par exemple, ces courses et ces chutes brusques, mouvements qui rappellent un peu la danse contemporaine. Et cette vision poétique du geste du sculpteur, dont les oeuvres sont façonnées à même la chair de ses modèles.

Ce drôle de rêve théâtral ne suscite toutefois pas le même envoûtement qu’Hippocampe, créé l’automne dernier mais écrit après Thé… L’univers est nettement moins fort. Il faut dire que la jeune distribution manque encore de maturité pour porter ces personnages typés et énigmatiques. Marie Gémus compose par contre un personnage qui a un peu de chair, une stagiaire amusante bien que caricaturale. Et en jeune première, Caroline Fortin montre une grâce fragile.

Même si elle n’a pas tout à fait le goût espéré, rien n’empêche de savourer certains ingrédients de la nouvelle mixture de Brullemans et Jean… Et d’apprécier dans sa globalité une "proposition" singulière et stimulante que l’auteur et le metteur en scène poursuivent de spectacle en spectacle.

Jusqu’au 15 février
À la Salle Fred-Barry