Fulgor : L’hiver de force
Dans un gros hangar de l’Est de la ville, six interprètes harnachés à une haute structure métallique virevoltent chacun leur tour autour d’un pivot, grimpent tels des Spidermen, ou s’accroupissent pour former des gargouilles… Ajoutez de la musique, des effets de miroirs, d’éclairages et de projecteurs. On est à une semaine de la première de Fulgor, le gros spectacle gratuit du Festival Montréal en lumière.
Dans un gros hangar de l’Est de la ville, six interprètes harnachés à une haute structure métallique virevoltent chacun leur tour autour d’un pivot, grimpent tels des Spidermen, ou s’accroupissent pour former des gargouilles… Ajoutez de la musique, des effets de miroirs, d’éclairages et de projecteurs. On est à une semaine de la première de Fulgor, le gros spectacle gratuit du Festival Montréal en lumière.
Le défi de l’équipe de Fulgor est aussi vertigineux: créer en un temps record un show extérieur hivernal, sous l’impulsion de deux metteurs en scène, l’un montréalais, l’autre de Barcelone. Le Festival a proposé à la troupe Zakouski, qui avait monté Le Feu du froid en plein air l’an dernier, de s’associer à La Fura dels Baus, célèbre compagnie de Catalogne (l’invitée d’honneur du Festival), vue ici pour la dernière fois en 1989, alors qu’elle avait présenté Suz O Suz dans le cadre du FTA. Les festivaliers qui l’ont vu s’en souviennent encore, paraît-il.
Pour Fulgor (éclair, en catalan), La Fura a voyagé avec une artiste-acrobate (les cinq autres ont été fournis par Zabouski), un vidéaste et l’un des six directeurs artistiques de la troupe, Jürgen Müller. Ce collectif fondé en 1979 a en effet diversifié ses activités à partir de 1992 – l’un de ces groupes a notamment conçu le spectacle d’ouverture des Jeux olympiques de Barcelone.
Mais il y a toujours une signature distinctive de La Fura dels Baus, groupe multidisciplinaire de théâtre qui fond musique live, effets visuels, projections vidéo ainsi que beaucoup d’éléments acrobatiques du cirque. Créée en 1990, venue du théâtre de rue, spécialisée dans les événements spéciaux, Zakouski fait aussi du "théâtre corporel".
Ensemble, les deux troupes ont dû créer une oeuvre originale, qui tienne compte des conditions climatiques. D’où la durée de Fulgor: 20 minutes. "Nous, les Québécois, prenons toujours l’hiver comme un ennemi, au lieu de nous demander ce qu’on pourrait faire avec, constate Michel G. Barette. Pourquoi ne pas penser à une façon de faire quelque chose de vraiment artistique, dehors? Depuis trois ans, il y a une progression dans la sophistication de la proposition du Festival."
Le directeur artistique de Zakouski a appris l’an dernier que certaines performances étaient tout simplement impossibles avec une météo sous le zéro. Trop glissant pour l’acrobatie ou la danse. "On a donc tenté de créer des mouvements qui pourraient être exécutés dans n’importe quel genre de conditions: neige fondante, vent… Tous les interprètes sont attachés." Son comparse, qui n’a jamais oeuvré sous des auspices aussi glacés, en goûte la contrainte: "Chercher des moyens de réaliser une histoire dans ce genre de conditions, c’est très bon pour le cerveau!"
L’histoire, que Jürgen Müller a d’abord développée en Espagne (après une brève rencontre dans la Métropole, le duo a échangé idées et images par téléphone et courriel), s’inspire de l’univers du dessinateur Maurits Cornelis Escher. Surtout de ses "mondes impossibles". Il y est question d’une petite ville dont les habitants cherchent "à aller chaque fois de plus en plus haut. L ‘un d’eux découvre des espaces impossibles et devient de plus en plus fou. Jusqu’à que ce qu’il arrive à un point où il ne peut aller plus haut. Il tombe dans une sorte de dépression quand il découvre qu’il n’est pas Dieu. Arrive une catastrophe…" Une métaphore, donc, sur la folie des grandeurs et un meilleur équilibre à atteindre.
Fulgor met à contribution une pyrotechnie "très puissante" et des images vidéo. "On raconte une histoire à travers des mouvements, l’éclairage et les projections – l’une des composantes les plus importantes, explique Barette. Dans un show extérieur, si le public n’aime pas ça, il s’en va. Vous devez aller le chercher, le voler, d’une certaine façon. Si nous pouvons créer une imagerie suffisamment puissante, il est attiré dans ce monde de poésie, ce voyage imaginatif, jusqu’à la fin."
Créature hybride
L’autre contrainte majeure de ce spectacle-pari était le temps: trois semaines pour répéter un show à deux capitaines… La glace a dû fondre rapidement entre l’Allemand installé en Catalogne et l’ancien du Cirque du Soleil et cofondateur des Enfants du Paradis (ancêtre de Carbone 14). "Nous devions être rapides, aller directement au but, résume le Québécois. Et faire beaucoup de concessions de chaque côté. C’est la part la plus difficile: ne pas avoir assez de temps pour qu’une idée puisse prouver sa valeur, pour lutter entre nous pour la meilleure idée. Ce n’est pas un processus fluide, mais je pense que nous sommes arrivés à créer ensemble quelque chose qui va être très intéressant pour le public."
Quelque chose où l’on pourra parfois reconnaître La Fura, et parfois identifier Zakouski. "Quand deux créateurs se rencontrent, le but est de créer quelque chose comme un hybride, note Jürgen Müller. Mais ça prend du temps pour qu’avec la friction, les deux visions se fondent en quelque chose de nouveau." "Alors nous avons une sorte d’amalgame, ajoute Michel G. Barette: des bouts de nous, des bouts de La Fura, collés ensemble le mieux possible."
Mais ne vous y trompez pas: avec tout ce qu’ils ont appris durant cette étrange expérience, ils se disent prêts à recommencer…
Du 13 février au 1er mars
Les jeudis, vendredis et samedis, à 19 h et 20 h 30
À la Grande Scène Hydro-Québec