Philippe Ducros : Dans le ventre du boa
Scène

Philippe Ducros : Dans le ventre du boa

Philippe Ducros entre dans le café en dissimulant quelque chose sous son manteau. Un poupon? Non, c’est dans un sac de coton. "Touche, touche." La journaliste tâte. "C’est un serpent", révèle-t-il, l’air malicieux. Il s’éclipse quelques instants pour enfermer son précieux reptile dans le local de répétition, puis prend place à la table. Au menu: massacres, viols, guerres, impérialisme américain, exploitation des plus démunis et complicité des médias. Le soleil se lève, il est à peine huit heures trente mais l’auteur de la pièce 2025, l’année du Serpent a les idées claires… et les crocs  pointus.

Philippe Ducros entre dans le café en dissimulant quelque chose sous son manteau. Un poupon? Non, c’est dans un sac de coton. "Touche, touche." La journaliste tâte. "C’est un serpent", révèle-t-il, l’air malicieux. Il s’éclipse quelques instants pour enfermer son précieux reptile dans le local de répétition, puis prend place à la table. Au menu: massacres, viols, guerres, impérialisme américain, exploitation des plus démunis et complicité des médias. Le soleil se lève, il est à peine huit heures trente mais l’auteur de la pièce 2025, l’année du Serpent a les idées claires… et les crocs pointus.

Récompensée de la Prime à la création du Fonds Gratien-Gélinas, sa partition pour neuf comédiens sera créée la semaine prochaine par le Théâtre du Grand Jour à la maison de la culture du Plateau-Mont-Royal. Avant de se lancer dans l’écriture, Philippe Ducros a passé deux mois en Chine et deux semaines en Bosnie-Herzégovine. 2025, l’année du Serpent se veut une réflexion sur notre responsabilité dans les conflits mondiaux et sur l’image que les médias en donnent. "C’est la guerre vue d’un sofa", résume-t-il.

John Smith, six milliardième homme sur Terre, y croise un photographe de guerre, une attachante vétérinaire, un sniper et un bambin qui a vu la mort de très près. L’inspiration lui est venue à la lecture d’un article du New York Times, qui décrivait un livre de photos d’effets personnels utilisé par la Croix-Rouge pour identifier les cadavres trouvés à Srebrenica, un village mis à feu et à sang malgré la protection promise par la communauté internationale. Le prétexte idéal pour réfléchir au rôle de l’ONU.

Une fois en Bosnie, c’est le choc. Il ne séjourne que quatre jours à Srebrenica, parce que "rester plus longtemps aurait été indécent". C’est le sixième anniversaire du massacre de plus de 10 000 hommes, et leurs veuves reviennent sur les lieux du carnage. Ducros se fait passer pour un étudiant en philosophie et discute avec les Serbes qui habitent aujourd’hui la ville. Troublé par les gens qu’il rencontre, il écrit sur place le très dur prologue de sa pièce.

Quelques mois plus tard, le comédien, auteur et metteur en scène s’envole pour la Chine grâce à une bourse. Il situe l’action de 2025… là-bas, parce qu’il imagine facilement ce pays surpeuplé devenir le nouveau leader économique mondial. Se rendre à Hong-Kong, c’est faire un bond en avant dans le temps, remarque-t-il. "Là-bas, le smog n’est pas au-dessus de la ville, mais dedans, entre les gens…" Les médias nous offrent un reflet déformé de la Chine, a constaté le jeune homme de 31 ans. Il déplore le "manque de rigueur" des journalistes. "Ici, on s’intéresse davantage à l’image d’une cause qu’à la cause elle-même."

Bien rares sont ceux qui échappent au venin de cet autodidacte, qui a été mis à la porte de l’Option-théâtre du Cégep Lionel-Groulx, à Sainte-Thérèse. "J’ai commencé à voyager parce que je n’étais plus capable d’aller à l’école et je pense que ma richesse en tant qu’artiste vient de là. Les écoles de théâtre forment des interprètes mais, selon moi, ce n’est pas parce que tu es comédien que tu es un artiste. Il faut réfléchir, prendre la parole, créer."

Artiste ou pas, chacun a un rôle à jouer pour améliorer le sort des autres, ajoute-t-il. "Je suis profondément exaspéré par ceux qui se disent impuissants. Il faut tenter de changer le monde, nous qui avons tout, sauf la paix de l’esprit. Ça pourrait peut-être nous aider à trouver le bonheur."

Selon lui, les auteurs de théâtre auraient intérêt à lever les yeux de leur nombril. "On parle de la même misère depuis 30 ans! Et on passe à côté du gros problème actuel, qui est le mal de vivre. Moi, j’aime voyager et j’ai le goût de faire décoller les gens, de leur faire comprendre qu’il y a moyen d’être heureux, maintenant."

Du 18 février au 8 avril
En tournée dans les maisons de la culture