Violette Chauveau : Albertine aux premiers temps
Pour sa 24e pièce, créée chez Jean-Duceppe, Michel Tremblay explore Le Passé antérieur de l’un de ses personnages fétiches: Albertine. La comédienne VIOLETTE CHAUVEAU incarne la rage naissante de cette jeune femme de 20 ans blessée par la désillusion.
Une sixième Albertine s’avance sous les projecteurs. L’enragée Bartine, née dans les Chroniques du Plateau Mont-Royal, émouvante à 30, 40, 50, 60 et 70 ans dans Albertine, en cinq temps, est de retour dans Le Passé antérieur, la 24e création de Michel Tremblay, mise en scène par son complice André Brassard. Cette fois, la reine du malheur a 20 ans et le coeur encore brûlant. Pour incarner celle qui s’enfermera pour toujours dans sa douleur, la très lumineuse Violette Chauveau.
Avec ce saut dans Le Passé antérieur, Tremblay remonte à l’origine de la fêlure d’Albertine, au moment où elle perd tout espoir, pour devenir "dure pis noire" comme un diamant. "C’est une pièce sur la désillusion", observe Violette Chauveau. Amoureuse folle d’Alex, la jeune Albertine passe deux mois à pleurer leur rupture, pour apprendre ensuite qu’il fréquente sa soeur, Madeleine. C’est le drame. Albertine tente alors assez pathétiquement de le reconquérir. "Même si on sait d’avance que tout finira très mal pour Albertine, André Brassard a décidé de lui laisser une chance de se débattre, d’essayer de trouver une solution. Mais, évidemment, elle n’a pas les outils pour ça, alors elle se défend en frappant n’importe où, n’importe comment. Ensemble, on a cherché à comprendre comment elle avait pu décider de devenir brusque et méchante pour le restant de ses jours."
Le tragique huis clos se déroule en 1930, dans le salon d’un appartement en sous-sol du Vieux-Montréal. Habillée et coiffée comme les stars hollywoodiennes qu’elle admire, Albertine affronte tour à tour sa mère Victoire (Rita Lafontaine), son frère Édouard (Vincent Giroux), Madeleine (Isabel Richer) et, lorsqu’il se pointe enfin, le si désiré Alex (Sylvain Bélanger) qui n’en demandait pas tant. Butée, Albertine ressemble alors, selon les mots de son frère, à une "boule de nerfs sourde-muette avec un air de beu"!
Pour comprendre la rage d’Albertine, Violette Chauveau s’est inspirée d’un souvenir. À 17 ans, elle rencontre dans un party un "monsieur à cravate" qui lui demande ce qu’elle veut faire dans la vie. "Comédienne", s’enthousiasme-t-elle. "Il m’a dit: ma pauvre petite fille, tu vas voir que cela ne se peut pas, que ce genre de rêve ne se réalise pas. Je suis partie enragée après avoir discuté avec lui, enragée comme Albertine peut l’être. J’étais scandalisée que cet homme décide que je ne pourrais pas aller plus loin que ce qu’il avait connu, vécu. C’est incroyable que des gens, comme Albertine et comme ce monsieur, cessent de rêver juste parce qu’ils n’ont pas obtenu ce qu’ils voulaient."
La rage créatrice
Un rêve: voilà comment elle décrit cette production qui lui permet de retrouver André Brassard, qui l’avait dirigée dans Les Mains d’Edwige au moment de la naissance, de Wajdi Mouawad. Après 38 ans d’amitié et 23 créations, le metteur en scène connaît les personnages de Tremblay comme les membres de sa propre famille, rigole-t-elle. "André Brassard s’adresse à l’intelligence de ses collaborateurs. Il examine chaque scène sous tous ses angles, ce qui permet d’accomplir un vrai travail de recherche."
Selon lui, raconte Chauveau, Albertine aurait fait une actrice extraordinaire. "C’est dommage que certaines personnes n’utilisent pas leur rage à bon escient, dans les arts par exemple, mais plutôt d’une manière complètement destructrice."
En riant, elle ajoute: "Albertine, c’est probablement une bombe sexuelle, parce qu’elle tente de contenir sa sexualité, elle se retient tellement!" Dans la peau de la jeune femme frustrée, la comédienne a beaucoup de plaisir à hausser le ton. "Chez les femmes, c’est tabou; on dit que ce n’est pas beau, une femme qui crie, qui engueule les autres… Pourtant, ça fait tellement de bien!"
Depuis 20 ans, Violette Chauveau multiplie les incursions sur scène, d’abord aux côtés de Robert Gravel au Nouveau Théâtre Expérimental, puis toujours là où on l’attend le moins. Elle a prêté sa grâce et sa fantaisie à une trentaine de personnages et fait des percées du côté de la télé et du cinéma. "À ma sortie du Conservatoire, ma carrière n’est pas partie en flèche, rappelle-t-elle. Je suis une personne qui aime faire les choses petit à petit, en observant beaucoup. Je n’accepte que les projets qui me permettent de prendre des risques, de me déstabiliser." Du rôle d’Albertine, elle dira d’ailleurs qu’il est "casse-gueule", ce qui lui plaît…
Dans un avenir proche, la comédienne aimerait bien expérimenter davantage le jeu à la caméra, si des rôles intéressants lui sont proposés. "Je n’ai pas de plan de vie, je suis quelqu’un qui vit dans le moment présent, mais j’ai des rêves et des projets… et je ne veux surtout pas savoir s’ils vont aboutir! (rires) La vie est belle avec des surprises."
Du 19 février au 29 mars
Au Théâtre Jean-Duceppe