Larry Tremblay : Musique de chambre
Scène

Larry Tremblay : Musique de chambre

Le très prolifique Larry Tremblay crée une cinquième pièce au Théâtre d’Aujourd’hui. Avec Cornemuse, l’auteur du Ventriloque signe une énigmatique danse à deux entre jeunes amoureux. En compagnie d’Éros…

"Vous avez un auteur heureux devant vous." Larry Tremblay vient d’assister à un premier enchaînement de Cornemuse, un tendre et violent pas de deux mis en scène par Éric Jean, en collaboration avec la chorégraphe Estelle Clareton. "C’est certainement mon oeuvre la plus érotique!" s’étonne le polyvalent dramaturge, poète, romancier, acteur, metteur en scène et professeur de kathakali, qui signe une cinquième création au Théâtre d’Aujourd’hui. Publiée en 1997 avec Ogre, Cornemuse est une courte pièce dont le "texte dansé" est tout aussi important que le "texte parlé", un corps à corps frénétique durant lequel un couple se rencontre, s’aime et se déchire… en une heure à peine.

À l’origine de ce spectacle, une envie. "Je me suis mis en tête d’écrire pour des corps jeunes. Je venais de terminer le spectacle The Dragonfly of Chicoutimi, où je mettais en scène un corps plus âgé que le mien (le dernier rôle sur scène de Jean-Louis Millette), et j’ai voulu aller vers la juvénilité." L’auteur croise un joueur de cornemuse un dimanche au Mont-Royal, puis s’envole pour Paris, où il ébauche la partition de Cornemuse dans les jardins du Luxembourg et sur les berges de la Seine. "Voilà pourquoi ce texte est très sensoriel, très poétique, pas du tout psychologique, plutôt comme un météore, rapide, musical, surprenant et vif, avance-t-il. Cela correspond à l’énergie de deux jeunes qui se rencontrent, à la fulgurance de leur amour."

Enfermés dans un appartement, Ana et Chris (Geneviève Martin et David Boutin) tentent de s’aimer, entre deux coups de téléphone de Bobby, un voisin anglophone, cancéreux et suicidaire, qui menace de bouffer son chien. Cette histoire d’amour extrême, c’est en quelque sorte trois ans vécus en une soirée. "Leur rencontre donne à voir d’abord la folie et l’exubérance, puis la déception, les tracas et finalement les mauvais coups que la vie assène parfois. J’ai voulu pousser au bout ce qu’est l’amour. Et bien sûr, dans ce condensé d’amour, il y a notre époque." D’où la poudre blanche et le sang qui viendront colorer la scène… ainsi que la luzerne qui tombe du plafond, sans que l’on sache trop pourquoi.

Il ne faut pas chercher à tout comprendre, prévient l’auteur. "Le théâtre s’affadit, devient commercial et mime, ou singe, ce que la télé fait très bien. Le réalisme, on n’a pas besoin de ça sur nos scènes! Le théâtre vient du sacré, et malheureusement, on est en train de le rendre totalement profane. Il faut rester vivant, vigilant, ludique, imaginatif et ne surtout pas tout montrer." Convaincu de l’importance d’aller aux sources du théâtre, il compare d’ailleurs ses deux protagonistes à Éros et à Thanatos…

Un appel à l’imaginaire
Larry Tremblay sait qu’il n’écrit pas des oeuvres faciles à monter. Et il en est fier. "J’ai voulu que cette pièce soit un appel à l’imaginaire des créateurs. Je ne voulais surtout pas que la parole dise tout. Mon défi, c’était de proposer un défi à d’autres." En l’occurrence, à Éric Jean, metteur en scène du très atmosphérique Hippocampe, ensorcelé par l’appel de Cornemuse. "Tous deux, nous aimons le fonctionnement poétique des choses. Avec Éric, c’est le corps qui parle, nous essayons de créer des images fortes qui n’ont pas besoin d’être expliquées."

L’appel a aussi été entendu par Estelle Clareton, créatrice des mouvements, et les contrebassistes Alex Bellegarde et Philippe Brault, qui joueront sur scène. "Différents langages artistiques se réunissent pour créer un spectacle qui n’est pas de la danse-théâtre mais bien du théâtre, avec ses personnages, son histoire."

En 1996, la pièce est lue dans le cadre de la Semaine de la dramaturgie du CEAD, avec Geneviève Martin dans le rôle d’Ana. La diplômée en art dramatique de l’UQAM reste hantée par le troublant personnage, à tel point que son ex-professeur suggère immédiatement son nom pour les auditions. Restait ensuite à dénicher l’élément masculin qui permettrait à la chimie d’opérer. "Toute la pièce repose sur la crédibilité de leur rencontre", rappelle l’auteur. Heureusement, David Boutin est un Dom Juan qui a fait ses preuves…

Un (très) court instant, Larry Tremblay a songé à diriger lui-même la production. "Mais depuis quelques années, j’ai laissé tomber la mise en scène parce que je suis vraiment dans l’écriture." Il a publié une quinzaine de livres (théâtre, poésie, essai, récit) depuis les années 80, et un premier roman acclamé (Le Mangeur de bicyclette) il y a quelques mois. Ajoutons à cela un Ventriloque récompensé du Masque de la production 2001-2002 à Montréal, dont les versions québécoise et belge seront reprises sous peu, tandis que d’autres verront le jour en Allemagne et au Mexique, la traduction et la production de ses textes un peu partout dans le monde, un opéra en chantier, un deuxième et un troisième roman simultanément en gestation… et on le comprendra d’avoir voulu tendre la main à d’autres créateurs.

Encore sous le charme de la répétition à laquelle il était convié, Larry Tremblay se retient d’en dire plus, mais ne peut s’empêcher d’ajouter, avec un sourire satisfait: "Ce que j’ai vu était très sensuel, plus sensuel que sexuel en fait, pas pornographique du tout. Tout ça nourri par Éros, qui est une énergie de fusion, de communion." Attention, chaud devant…

Du 25 février au 15 mars
Au Théâtre d’Aujourd’hui