Les Manuscrits du déluge : À la dérive
Scène

Les Manuscrits du déluge : À la dérive

La mémoire est parfois chose cruelle. Ainsi, il est plutôt désolant de voir, à seulement quelques mois de distance, la touchante reprise des Feluettes et la toute nouvelle création de Michel Marc Bouchard. Le brillant auteur des Muses orphelines et de L’Histoire de l’oie aurait-il égaré sa touche magique? Dans Les Manuscrits du déluge, les éléments habituels de son écriture – drame, lyrisme, métaphore "poétique" et un humour ici très terre à terre – s’emboîtent mal. La pièce apparaît bancale.

La mémoire est parfois chose cruelle. Ainsi, il est plutôt désolant de voir, à seulement quelques mois de distance, la touchante reprise des Feluettes et la toute nouvelle création de Michel Marc Bouchard. Le brillant auteur des Muses orphelines et de L’Histoire de l’oie aurait-il égaré sa touche magique? Dans Les Manuscrits du déluge, les éléments habituels de son écriture – drame, lyrisme, métaphore "poétique" et un humour ici très terre à terre – s’emboîtent mal. La pièce apparaît bancale.

De quoi s’agit-il dans cette création du TNM, sept ans après Le Voyage du couronnement? De thèmes vastes et majeurs: du vieillissement, de la mort, de la fin d’un monde, de la mise au rancart des aînés, du fossé des générations, de l’écriture qui rend "tout précieux", d’une mémoire collective qui disparaît, d’un courant puissant qui balaie l’héritage du passé…

Tout ça incarné dans cette histoire d’un village déserté par presque tous ses jeunes et qu’un déluge vient de ravager, dévastant la salle d’écriture qui contenait la "chronique du temps" minutieusement alimentée par un groupe d’individus vieillissants. Un pan d’immortalité que l’opiniâtre et bougon Samuel (solide Gérard Poirier) s’entête à vouloir sauver, et donc réécrire, alors que ses compagnons d’infortune seraient plutôt tentés d’en profiter pour imprimer une nouvelle direction à leur vie.

L’argument des Manuscrits du déluge paraît mince, comme si Michel Marc Bouchard n’avait pas réussi à incarner dans une narration crédible tout ce qu’il voulait dire. De son propre aveu d’une écriture "fragmentaire", le texte semble hésiter entre des contingences réalistes – les remarques sur les vieux délaissés par leurs ingrats d’enfants ou le centre d’accueil -, un humour aux effets parfois faciles – les vieillards qui parlent de piercing, par exemple… -, et une dimension métaphorique, incarnée presque uniquement par le personnage parachuté de Danny-l’enfant-seul, ange qui a mémorisé les écrits des aînés. Un personnage improbable, aux motivations souvent obscures, chargé d’un texte récitatif et qui, en dépit du charisme de Sébastien Ricard, ne prend jamais son envol – ailes d’ange ou pas…

De beaux moments surnagent pourtant ici et là dans Les Manuscrits… De belles phrases isolées ("le temps est un étranger qui s’installe en nous"), un prenant monologue de Monique Mercure sur le vieillissement du corps, la fraîcheur de Monique Miller en gentille ingénue. Les comédiens sont irréprochables, tirant le maximum de leurs rôles schématiques. Même si, en époux buté, Benoît Girard n’a pas grand-chose à se mettre sous la dent, ou que Louise Turcot semble un peu cantonnée dans un enthousiasme de surface.

On peut aussi se rabattre sur la joliesse formelle de la production. La metteure en scène florentine Barbara Nativi verse dans une beauté et un onirisme aux images parfois plutôt mièvres: lune dorée, ciel étoilé, objets symboliques qui passent à l’arrière-plan… Le spectacle bénéficie aussi de la musique de Michel Smith et d’un éloquent décor signé par le complice de Nativi, Dimitri Milopulos, théâtre au cadre brisé dont le sol est jonché d’un déluge de papiers.

Difficile de ne pas voir dans cet amoncellement de feuilles éparses une sorte de représentation de cette pièce éparpillée et flottant entre plusieurs eaux…

Jusqu’au 13 mars
Au TNM