François Archambault : Critique sociale
"J’aime jouer avec la dynamite, admet François Archambault. J’ai du plaisir quand je me demande: vais-je trop loin?" Après le très léger La Nostalgie du paradis, le dramaturge a senti le besoin de revenir à "la base": un univers tricoté à partir de préoccupations à la fois très personnelles et très sociales, au ton "grinçant et baveux". Du François Archambault, quoi.
"J’aime jouer avec la dynamite, admet François Archambault. J’ai du plaisir quand je me demande: vais-je trop loin?" Après le très léger La Nostalgie du paradis, le dramaturge a senti le besoin de revenir à "la base": un univers tricoté à partir de préoccupations à la fois très personnelles et très sociales, au ton "grinçant et baveux". Du François Archambault, quoi.
Bienvenue dans La Société des loisirs, qui sera mise au monde par Michel Monty à La Licorne – en même temps que Les Gagnants seront repris au Périscope, à Québec, et alors que 15 Secondes s’apprête à être montée à Édimbourg. Faste mois pour l’auteur sorti de l’École nationale il y a 10 ans, avec une pièce sulfureuse intitulée Cul sec. Un texte qui possède d’ailleurs plusieurs parentés avec La Société des loisirs, François Archambault y traquant aussi la vacuité intérieure de personnages matériellement comblés, qui se cherchent dans une sexualité mécanique. Mais en plus tragique, croit l’auteur, car les personnages de sa nouvelle pièce ne sont plus des ados, mais des trentenaires désabusés.
"Je voulais écrire une pièce sur des personnages malheureux, mais qui ne le savent pas, qui fonctionnent quand même dans la société. Je pense que beaucoup de gens sont pris dans une espèce de tourbillon: job, couple, enfants." L’auteur a écrit un cauchemar pour un couple (Marie-Hélène Thibault et Christian Bégin) qui s’est bâti une vie qui a toutes les apparences de la normalité. Ils ont fait tous les choix conventionnels (maison, couple, enfant), les bons choix, alors pourquoi le bonheur leur échappe-t-il?
Pierre-Marc et Marie-Pierre organisent une soirée avec l’intention de rompre avec un ami (Normand D’Amour) dont le mode de vie libertin, avec sa jeune maîtresse (Geneviève Néron) et son bonheur insouciant, les attire et les effraie à la fois. "Ils ont peur de l’intrusion de tout ce qui pourrait les rendre malheureux, sans se rendre compte que le malheur est déjà là… Moi, ce qui m’intéresse, c’est de créer des personnages qui sont censés réussir, et de voir en quel sens cette réussite n’est pas si extraordinaire."
La Société des loisirs en est une où tout est achetable – enfant inclus! -, où tout doit être divertissant ("même les véhicules sont récréatifs maintenant…"), mais où le temps est le produit le moins disponible. François Archambault s’inquiète de l’obsession de la croissance économique. "Il faut toujours que la Bourse monte, que les gens gagnent, consomment plus. C’est une utopie: il n’y a que l’univers qui soit en perpétuelle expansion! On est tellement dépendant de ce système qu’on ne peut pas se permettre de vivre des crises. Je trouve dangereuse cette course en avant, parce qu’il y a des choses qu’on ne peut pas remettre en question."
L’auteur des Gagnants écorche cette fixation sur la performance. Une tendance dont il voit l’illustration dans le phénomène Star Académie. "Je trouve que c’est très pernicieux, et qu’il y a là une confusion des genres. On essaie de fabriquer des artistes selon une méthode marketing. La machine est prise à l’envers. On dit aux gens qu’être artiste, dans le fond, c’est juste bien gérer une image. Et je trouve que dans la société, l’apparence, et l’apparence de la réussite, est souvent en avant des vraies affaires. Mes personnages se situent à ce niveau. Ils font une famille, mais dans le fond, ils s’en fichent un peu. Ce qui compte, c’est eux."
Le dramaturge, lui, écrit un théâtre socialement engagé ("pour moi, la fonction du théâtre est de jeter un regard critique sur des comportements"), où il interroge la morale. Mais tente de ne pas la faire. "J’essaie de faire en sorte que le jugement moral appartienne aux spectateurs. Ces personnages sont difficilement aimables, mais je pense que si la pièce fait ce qu’elle a à faire, on les trouve un peu ridicules au début, mais on finit par être touché par leur tragédie, par comprendre que l’absurdité de leurs comportements est causée par une blessure et un manque profonds."
Mais où ce si gentil garçon qu’est François Archambault puise-t-il un regard aussi cinglant? L’auteur s’esclaffe. "J’ai toujours été un peu en retrait et très gêné. J’étais incapable de confronter les gens, et l’écriture m’a permis de communiquer ce que je n’exprimais pas dans la réalité. Mes parents étaient très croyants, j’ai hérité d’une vision du monde très naïve, et je pense que mon écriture vient du choc entre ce que je pensais être le monde, et ce que j’en ai découvert à l’adolescence. Elle est devenue le canal de cette espèce de révolte, d’insatisfaction par rapport au monde. Dans ma vie, je suis très heureux. Mais j’ai parfois l’impression de vivre un peu dans un bunker, que pour être heureux, je suis obligé de faire abstraction de bien des choses autour…"
Du 4 mars au 12 avril
À La Licorne