Le Passé antérieur : Un merveilleux malheur
Scène

Le Passé antérieur : Un merveilleux malheur

Après l’égarement de L’État des lieux, Le Passé antérieur offre les accents familiers d’un retour au bercail. Michel Tremblay baigne à l’aise dans son univers de prédilection. Et si cette nouvelle pièce se conjugue un peu à l’imparfait, dépourvue notamment de l’inspiration formelle qui fait les plus grandes oeuvres du l’auteur d’Albertine, en cinq temps, elle est beaucoup mieux maîtrisée que la précédente. Et bien servie par une belle production signée André Brassard.

Après l’égarement de L’État des lieux, Le Passé antérieur offre les accents familiers d’un retour au bercail. Michel Tremblay baigne à l’aise dans son univers de prédilection. Et si cette nouvelle pièce se conjugue un peu à l’imparfait, dépourvue notamment de l’inspiration formelle qui fait les plus grandes oeuvres du l’auteur d’Albertine, en cinq temps, elle est beaucoup mieux maîtrisée que la précédente. Et bien servie par une belle production signée André Brassard.

Michel Tremblay ajoute donc un nouveau chapitre à sa grande saga familiale traversée par une lignée de femmes héritières du malheur, un épisode charnière pour justifier le destin de l’un de ses personnages les plus forts, l’enragée Albertine.

La sixième Albertine est aussi différente des cinq autres que celles-ci l’étaient entre elles: à elles toutes, elles forment un être multiforme passé par différentes étapes, diverses émotions de la vie. Le Passé antérieur trace le portrait d’une femme peu douée pour le réel, et qui s’illusionne grandement sur elle-même. Albertine a ici 20 ans, et beaucoup de talent pour la souffrance. Avec son goût du romanesque, son absolutisme, son imagination, elle est prête à se perdre entièrement dans un grand amour qui comblerait son manque. Mais l’objet sur lequel elle a jeté son dévolu, le bel Alex (Sylvain Bélanger), a pris peur devant son intransigeance, et fréquente désormais sa raisonnable cadette.

Persuadée que la souffrance est de toute façon son lot, cette jeune femme au tempérament insatisfait met du panache dans son chagrin d’amour. L’orgueilleuse Albertine idéalise son malheur, déploie son sens du tragique dans toute sa splendeur. Contrairement à sa soeur Madeleine, son antithèse qui, dans Albertine, en cinq temps, disait préférer "un p’tit bonheur médiocre à un grand malheur tragique", "Bartine" fait le choix inverse. La tiédeur ne sera pas son lot. Et c’est tout l’argument de la pièce que de nous montrer comment elle en viendra à s’enfermer dans la noirceur.

Cette oeuvre à quatre mouvements déroule des conversations successives qui sont autant de perches tendues à Albertine. Apportant chacun leur pièce du puzzle psychologique, sa mère (la toujours excellente Rita Lafontaine), sa soeur (juste Isabel Richer), son frère (Vincent Giroux, convaincant dans un rôle difficile) et son ex-prétendant tenteront tour à tour de raisonner Albertine. En vain. Elle s’installera dans la hargne.

Étude psychologique pénétrante, Le Passé antérieur fait donc le tour d’un personnage, dont il creuse les multiples méandres. Quitte parfois à enfoncer le clou et à tomber dans un théâtre explicatif où l’on veut tout nous dire. Certains dialogues sonnent un peu anecdotiques.

Mais le personnage est fascinant. Et la mise en scène limpide d’André Brassard lui donne de l’ampleur tragique. Il faut voir Albertine, à la fin, se diriger vers la route rocailleuse qu’elle va parcourir… Dans l’intelligent décor de Claude Goyette, se matérialisent les rêves hollywoodiens romantiques qui nourrissent l’imaginaire d’Albertine.

Car la jeune femme est une actrice qui s’ignore. Et on sent presque constamment cette dimension de jeu dans la magnifique interprétation de Violette Chauveau, qui compose un personnage traversant diverses émotions: colère, mépris, détresse. Cette tragédienne dans l’âme semble même parfois trouver de l’exaltation dans son malheur.

Aguicheuse, posant dans sa robe vaporeuse, cette Albertine évoque irrésistiblement Blanche Du Bois, comme elle déçue par la vie, attirée par un monde de fantasmes, s’accrochant à une chimère, à un rêve de grandeur qui ne correspond pas ou plus à sa réalité. C’est ce qui la rend insupportable et admirable.

Un riche personnage qui valait bien qu’on lui consacre une autre pièce.

Jusqu’au 1 avril
Au Théâtre Jean-Duceppe