Marie Tudor – Entrevue avec Lorraine Côté : Noeuds et déchirements
À quelques jours de la première de Marie Tudor, LORRAINE CÔTÉ, qui en joue le rôle-titre, s’étonne: "Je n’ai pas d’angoisse, pas du tout; c’est rare. D’habitude, je suis toujours le doute incarné."
"C’est comme si ça venait du personnage, explique la comédienne. Comme si je me disais: "Je suis la reine: je ne peux pas me permettre de douter. Je vais peut-être me faire assassiner en fin de journée mais tant que je ne suis pas morte, il faut que j’assume."" Car il ne fait pas bon être reine à Londres, en 1554. Complots, emprisonnements, exécutions: c’est le règne de la suspicion et de l’arbitraire. Portant la très convoitée couronne d’Angleterre, Marie Tudor doit naviguer entre les intrigues de cour, les intérêts du pays et ceux de son coeur.
Pour écrire ce texte, créé en 1833, Victor Hugo s’est librement inspiré de la véritable Marie Tudor, reine d’Angleterre de 1553 à 1558, surnommée Marie la Sanglante en raison de ses persécutions contre les protestants. Mise en scène par Gill Champagne, la pièce présente une Marie Tudor follement éprise du séduisant Fabiano Fabiani. Devenu son favori, il mène la cour à sa guise, au grand dam des nobles, qui souhaitent l’évincer. La reine découvre bientôt qu’il courtise une jeune orpheline, Jane Talbot, promise à l’ouvrier Gilbert. Blessée dans son orgueil et trahie dans son amour, la souveraine désire tout à la fois se venger – réclamant, avec les lords et Gilbert, la tête de Fabiano – et épargner son amant, qu’elle ne peut se résoudre à perdre.
"Cette espèce de drame cornélien entre la raison et le coeur, c’est vraiment la dualité la plus importante pour le personnage, avance Lorraine Côté. C’est sûr que Marie Tudor a peur à son trône, à sa tête. Mais elle a encore plus peur de perdre l’homme qu’elle aime. C’est la première fois qu’elle vit ça: elle s’est laissé séduire par Fabiano, elle s’est donnée à lui, dans tous les sens du terme, et elle ne peut pas supporter qu’il l’ait trahie."
Telle l’Hermione de Racine, que Lorraine Côté a déjà incarnée, frappant d’une main et protégeant de l’autre, Marie Tudor "est aux prises avec son désir de vengeance et son amour, son amour d’elle-même et son amour de l’autre. C’est la femme amoureuse qui a perdu le contrôle: elle ne règne plus sur son coeur."
XVIe siècle, vie à la cour, pouvoir royal: Marie Tudor apparaît toutefois comme "un miroir de nous-mêmes, expose l’interprète. C’est toujours le coeur humain, qui ne change pas. On est tous les mêmes: c’est là un intérêt de la pièce. Et puis on se fait raconter une belle histoire, avec des bons, des méchants, avec des revirements: ça aussi c’est un grand plaisir. De même que la langue de Victor Hugo: c’est une langue splendide, qu’on n’entend pas souvent. Et c’est un grand bonheur de dire, de jouer ça, de l’entendre. C’est magnifique."
On monte rarement Victor Hugo, qui fait, avec ce spectacle, son entrée au Trident. Ses pièces, à grand déploiement, sont réputées difficiles. "C’est beaucoup de travail, et ça demande énormément de concentration, admet Lorraine Côté. D’abord pour le texte: c’est une langue très colorée, très imagée, et ce sont toujours de longues énumérations. Mais la pensée est très claire. C’est également très lyrique: c’est presque du chant, parfois. Ça prend le souffle pour se rendre au bout de ces phrases-là, au bout de ces idées-là. Mais c’est un bonheur! C’est fatigant, aussi, de jouer avec un corset, avec des talons hauts, avec un manteau très lourd, et de dire ce texte. J’ai des pages complètes où je suis en colère, où je suis un vrai monstre! C’est épuisant. Mais plonger dans le personnage, aller au bout, perdre la carte: j’adore ça. Et la démesure… c’est ce que j’aime le plus! La démesure du personnage, de la langue… J’ai un plaisir incroyable."
Les interprètes Yves Amyot, Serge Bonin, Frédérick Bouffard, Sophie Dion, Hugues Frenette, Pierre Gauvreau, Roland Lepage, Jean-Sébastien Ouellette, Marco Poulin, Hugo Turgeon et les concepteurs Jean Bélanger, Florence Cornet, Yves Dubois, Denis Guérette, Jean Hazel, Catherine Higgins complètent l’équipe.
Du 4 au 29 mars
Au Grand Théâtre
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