Robert Wilson : Maître de cérémonie
Une grande figure de la mise en scène nous rend visite: ROBERT WILSON vient donner une conférence/performance, Have You Been Here Before / No This Is the First Time, dans le cadre du Festival Montréal en lumière. Ce géant du théâtre nous raconte son éducation sudiste et ses débuts à New York.
L’aspect "vivant" du théâtre peut autant l’aider que lui nuire. Si la faculté de transmettre un message à une salle remplie de gens est un puissant outil, l’inaptitude à bien embouteiller et à lancer ce message rend sa diffusion difficile. Surtout à une époque où l’on nage dans une mer saturée d’autres médias. Pour se faire remarquer dans une salle remplie de géants artistiques, les champions doivent être plus qu’à la hauteur.
Heureusement, le théâtre peut se vanter d’avoir d’imposants héros, dont l’un des plus grands, Robert Wilson, sera en ville demain pour donner une conférence/performance dans le cadre du Festival Montréal en lumière.
Robert Wilson fait un théâtre à l’esthétique remarquée depuis plus de 30 ans et la quantité de prix qu’il a remportés ne peut être égalée que par les artistes avec qui il a collaboré: Philip Glass, Heiner Müller, William S. Burroughs, Allen Ginsberg, Susan Sontag, Lou Reed, Tom Waits… La liste est longue.
Je me suis récemment entretenu avec Robert Wilson, quelque part en France, pour savoir comment la ville de New York avait changé sa vie et à quoi le public montréalais pouvait s’attendre lors de sa présentation. Nous avons commencé en parlant de sa "fuite" du Texas, sa voix basse et langoureuse creusant attentivement le passé.
"J’ai grandi dans une toute petite ville [Waco] très raciste. Élevé dans la rectitude baptiste du Sud. Si une femme était aperçue portant un pantalon, c’était un péché. Si quelqu’un allait au théâtre, c’était un péché. Il était considéré comme honteux qu’Abraham Lincoln, président des États-Unis, soit mort dans un théâtre parce que cet endroit était une maison de débauche."
Pour plaire à son père, Wilson a étudié l’administration à l’Université du Texas, mais il affirme que sa véritable éducation n’a commencé que lorsqu’il a déménagé à New York, dans les années 60. Même s’il y a assisté à ses premières pièces de théâtre – "J’ai vu des spectacles de Broadway et je suis allé à l’opéra, mais j’ai détesté; ce qui est encore souvent le cas" -, il a préféré l’architecture, la peinture et la danse.
"Le simple fait d’être à New York était une forme d’éducation. J’ai connu Warhol assez tôt, j’allais à son studio. C’était une révélation. J’ai commencé à rencontrer des gens. J’ai vu les danseurs qui travaillaient au Judson Church dans les années 60, ce qui m’a ouvert les yeux. Yvonne Rainer, des gens comme ça. John Cage, Merce Cunningham. J’aimais beaucoup le travail de [George] Balanchine. La formalité de ses oeuvres, leur construction classique."
Mais c’est dans les rues de New York, et non pas dans les espaces de performance ou les galeries, que Wilson a rencontré Raymond Andrews, un garçon sourd qui allait changer profondément le cours de sa vie.
"J’ai fait la connaissance d’un jeune garçon afro-américain de 13 ans qui n’était jamais allé à l’école. J’ai appris qu’il allait être enfermé, institutionnalisé. Alors je suis allé en cour et je l’ai adopté."
Wilson avait alors 27 ans.
"Cet événement a vraiment changé ma vie."
Les racines de la création
En l’absence de toute éducation formelle, Raymond a développé ses propres outils de communication, incluant un sens extrêmement aigu du langage corporel. Si Wilson a d’abord eu l’intention d’écrire un livre à partir des observations uniques de Raymond, c’est une pièce de théâtre qui en a émergé.
"Ça s’est fait tout seul, en quelque sorte. Les interprètes étaient en fait des travailleurs d’usine, des gens que j’avais rencontrés dans la rue, un avocat… Tout un mélange de gens."
Le célèbre spectacle, Deafman Glance, durait plus de sept heures. Tout en silence. Mini-sensation à New York, ce spectacle marque le début d’une suite d’événements qui entraîneront Wilson tête première dans le théâtre et l’opéra.
"Pierre Cardin a vu le spectacle et l’a présenté à Paris, et, à ma grande surprise, ce fut un succès retentissant. Les gens ont commencé à me demander de travailler pour le monde du théâtre, que je ne connaissais pas vraiment et que je n’aimais pas particulièrement non plus. Puis on m’a demandé d’aller à la Scala et j’ai dit: "La Scala? Ugh…" Mais j’ai monté une pièce de 24 heures à Paris puis une pièce de 7 jours en Iran. Une chose a mené à une autre."
Aujourd’hui concepteur, raconteur et directeur de renom, Robert Wilson a utilisé son influence artistique afin de créer le centre Watermill, un établissement international qui veut favoriser la communication et l’innovation dans les arts. L’institution sera l’un des sujets abordés lors de sa lecture/performance à Montréal.
"J’ai décidé de parler des débuts de ma création et de retrouver les racines de ce travail ainsi que les liens qui l’unissent avec le centre international que je suis en train de mettre sur pied à Long Island."
Le 28 février
Au Théâtre Maisonneuve