Cornemuse : Désir inassouvi
Scène

Cornemuse : Désir inassouvi

Dans Cornemuse, arène des passions naissantes, l’amour est un combat, tour à tour tendre, vorace et violent, entre deux corps jeunes, désirables, fougueux, insatiables. Ils s’enlacent, s’embrassent, roulent ensemble, se mordent, se dévorent, nourrissent l’autre jusqu’à l’étouffer, se font du bien, se font du mal. Si je t’aime, prends garde à toi…

Dans Cornemuse, arène des passions naissantes, l’amour est un combat, tour à tour tendre, vorace et violent, entre deux corps jeunes, désirables, fougueux, insatiables. Ils s’enlacent, s’embrassent, roulent ensemble, se mordent, se dévorent, nourrissent l’autre jusqu’à l’étouffer, se font du bien, se font du mal. Si je t’aime, prends garde à toi…

Ana (Geneviève Martin) et Chris (David Boutin) viennent tout juste de se rencontrer. Ils vivent les sensations de l’amour en accéléré, n’existant que dans le présent – un présent qui compresse quelques années en une nuit. La pièce de Larry Tremblay organise en quelques mouvements rapides la rencontre d’une jeunesse pressée, avide, qui ne s’embarrasse pas de passé, de questions ou d’explications. Seule intrusion du monde extérieur, de la vie réelle, dans la bulle des amoureux: les appels répétés de Bobby, l’ami anglophone suicidaire et mourant d’Ana, dont les conversations en anglais accentuent la dimension d’étranger.

Leur relation passionnelle se consomme, et se consume, en un éclair. La pièce créée au Théâtre d’Aujourd’hui montre la part de possession violente qui entre dans un désir aussi fort. Mais pourquoi sont-ce ici les femmes qui y survivent, laissant au plancher leur amant exsangue, vidé de son sang?

Les textes de Larry Tremblay comportent toujours leur part de mystère – et c’est bien ce qui fait une partie de leur intérêt. On était happé avec délice dans l’énigmatique écheveau du Ventriloque. Avec Cornemuse, on reste un peu en rade devant la minceur de la chose, et avec la vague impression que cette fois, l’essentiel ne loge pas dans les mots de ce curieux texte fragmentaire.

Cornemuse déroule plutôt une partition inachevée, ouverte, pour deux corps. Une brèche dans laquelle s’est largement engouffrée Estelle Clareton, qui a dirigé les pas de cette pantomime amoureuse exaltée. Davantage qu’une gestuelle très élaborée (les interprètes ne sont pas des danseurs professionnels), ses chorégraphies font ressortir une énergie brute, juvénile, plus ludique que véritablement érotique. Ana et Chris se consument dans un jeu dangereux. Mais un jeu tout de même. David Boutin et Geneviève Martin se prêtent avec générosité, énergie et abandon à cette corrida épidermique.

Habitué aux univers théâtraux qui ne livrent pas toutes leurs clés, où le corps parle autant que les mots, Éric Jean a pris la liberté que lui offrait le texte pour transformer l’espace de leurs élans charnels en arène de combat. À l’arrière de l’espace imaginé par Magalie Amyot, dans la pénombre, deux contrebassistes costumés en toréadors, Alex Bellegarde et Philippe Brault, ponctuent le spectacle de leur musique envoûtante. La tauromachie est une métaphore féconde et limpide pour ce duo-duel amoureux qui ira jusqu’au sacrifice, et qui porte la charge rituelle, dansée, érotique et mortelle (Éros et Thanatos) d’une corrida – même si, dans sa jupette, Boutin évoque plutôt un gladiateur blessé!

Les costumes éclatants et flyés de Linda Brunelle, les accessoires qui tombent du ciel, la cabine téléphonique qui se métamorphose en douche: tout ça participe à un univers inventif et non réaliste.

Voilà une heure qui file sans déplaisir, sous la séduction d’une énergie sensuelle et ludique, mais qui laisse pourtant sous l’emprise d’un désir inassouvi. Comme un amant non repu.

Jusqu’au 15 mars
Au Théâtre d’Aujourd’hui