Estelle Clareton : Masculin féminin
La nouvelle création d’ESTELLE CLARETON est un triptyque qui sonde le rapport au corps à travers trois thèmes différents. La chorégraphe nous parle de ce Monsieur, qui traite notamment des relations entre le masculin et le féminin.
Qu’advient-il d’un interprète, après 20 ans de dévouement à une danse contemporaine qui impose des exigences surhumaines au corps? Quel genre de musicalité corporelle peut-on laisser sortir de ce corps vieillissant qui porte les traces de son passage dans cette ère "bionique" de la danse que furent ces deux dernières décennies? Aussi, comment peut-on retrouver l’essence du féminin et du masculin, qu’on a tenté de rapprocher à travers une androgynie qui, au bout du compte, a énormément altéré la nature des relations homme-femme, les éloignant davantage l’un de l’autre?
"Je me souviens qu’on levait les gars au bout de nos bras et que ça nous procurait un sentiment de puissance exaltant, me confie Estelle Clareton. On avait les muscles bien découpés; c’était l’époque où l’image de femme forte et dominante que Madonna véhiculait avait beaucoup d’influence. On y a cru. Et c’était, selon moi, un passage nécessaire. Mais maintenant, j’ai le goût d’un retour à une féminité qu’on a un peu laissée de côté. Une féminité qui se questionne d’ailleurs énormément sur son rapport à l’homme."
Monsieur, la nouvelle création de cette artiste montréalaise, arrive au centre de ce questionnement. Il s’agit d’un triptyque présentant trois facettes d’un même personnage. "Il y a un côté plus humain, m’explique-t-elle; l’autre est semi-comateux, comme un boxeur après un match; et le troisième, c’est Dieu… ou le créateur." Pour créer ces trois tableaux, la chorégraphe s’est enfermée en studio avec son interprète Daniel Firth, afin d’improviser sur trois thèmes – un pour chaque tableau: le rapport obsessif au corps, le sportif et le récit de la Création qu’on retrouve dans la Bible et dans lequel il est écrit: "Le septième jour, il se reposa…" Une phrase chargée de signification pour l’ensemble des artistes qui oeuvrent en danse. "Quand j’ai demandé à Daniel comment il se sentait par rapport à sa condition de danseur, il m’a répondu qu’il ressentait une grande fatigue, avoue Estelle Clareton." Car, pour un danseur, ce septième jour de repos n’arrive souvent qu’une fois la carrière terminée.
Cette fois-ci, la chorégraphe s’est éloignée progressivement de la narrativité pour tendre davantage vers le côté plus psychologique, philosophique et poétique de la création chorégraphique. "J’étais dans une salle de cinéma de répertoire et j’attendais la présentation du film, devant un écran blanc, sans pubs. Après quelques bonnes minutes de plaisante divagation, j’ai eu envie de dire tout bas: merci de me laisser cet espace-là pour rêver…"
Ce cadre – comme l’écran de cinéma – et l’idée du triptyque, nous les retrouvons d’ailleurs chez Francis Bacon, une des influences d’Estelle Clareton: "Dans les toiles de Bacon, il y a toujours cet encadrement qui me renvoie à l’écran de cinéma. La tourmente des personnages, souvent vue sous trois angles différents, dans cet encadrement, j’aime ça!"
Cette créatrice, dont la douce timidité dévoile progressivement une profondeur d’âme et une touchante sensibilité, ne s’est entourée que d’hommes, cette fois-ci, pour faire parler le corps au masculin: Jean-Pierre Côté à la musique; Martin Labrecque aux éclairages; Guillaume Lord à la scénographie; et, finalement, l’aspect textuel est assumé par l’écrivain Maxime-Olivier Moutier.
Du 12 au 15 mars
Au Studio de l’Agora de la danse
Sonya Biernath et Jordi Ventura Fabra
Le projet What What I What, dont le titre est né d’un lapsus, est un collectif dont la direction artistique est assumée par les chorégraphes et interprètes Sonya Biernath et Jordi Ventura Fabra. Ces deux prochaines semaines, nous pourrons découvrir le travail de ces créateurs dans deux lieux de diffusion montréalais qui encouragent grandement le travail des jeunes artistes appartenant à la relève et dont l’art est souvent influencé par la réalité urbaine.
La pièce Strange Places de Jordi, présentée au MAI du 6 au 9 mars, dans le cadre du DNA, est une rencontre amicale et multimédia entre le public et les interprètes-performeurs. Cette performance nous confronte à la question suivante: "Mais où se déroule réellement le spectacle?" Cela est d’autant plus intéressant qu’il est présentement dans l’air du temps de décloisonner le quatrième mur qui sépare psychologiquement, physiquement et sémantiquement le public et les interprètes. Le chorégraphe d’origine espagnole-catalane se démarque par les moyens souvent modestes et ingénieux qu’il emploie pour révéler l’intelligence de son propos.
D’une réflexion très conceptuelle, on passe à une vision du monde plutôt poético-philosophique avec Sonya Biernath dont la pièce The Principle of Sufficient Reason sera présentée à Tangente du 13 au 16 mars. Mais malgré ce changement d’angle, on reste dans cette idée d’une relation étroite avec le public. La chorégraphe y parvient en faisant apparaître, à l’aide de bandes élastiques, la tension qui règne constamment entre les individus, même quand la relation corporelle est indirecte. Une tension qui engendre, dans bien des cas, un malaise. D’ailleurs, selon Sonya, "dans la société politically correct où l’on vit, on prétend souvent que tout va bien, alors que c’est un mess-up total". C’est donc avec humour et poésie que sera traité le sujet du malaise entre les individus.
Aussi, cette artiste d’origine allemande aime bien employer le texte comme porte d’entrée pour la création. "À force de parler quatre ou cinq langues en même temps, dit-elle, je vois les mots différemment. Comme si c’était de la musique ou un rythme nous permettant de communiquer quelque chose de plus grand que le mot lui-même. Je crois d’ailleurs que le corps a la même faculté de se dépasser."
Afin de l’assister dans ces deux oeuvres, le tandem Fabra-Biernath a fait appel à l’interprète Catherine Viau et à la conceptrice d’éclairages Lucie Bazzo. Ce qui n’est pas sans annoncer un côté technique, autant corporel que scénographique, de qualité.
à surveiller
La jeune et audacieuse interprète Karine Cloutier viendra nous rendre visite pour un soir seulement, soit le 15 mars, à la maison de la culture Plateau-Mont-Royal. Elle y présentera son spectacle K-Solo, comprenant quatre solos signés par les chorégraphes Lucie Grégoire, Harold Rhéaume, Pierre-Paul Savoie et les collaboratrices Anne-Marie Alonzo et Parise Mongrain. À voir… et de plus, c’est gratuit!