Les Gagnants – Entrevue avec Stéphan Allard : Se sauver des apparences
Scène

Les Gagnants – Entrevue avec Stéphan Allard : Se sauver des apparences

"Pendant une heure, deux heures, je vais faire accroire à un paquet de monde que je ne suis pas moi. Plus mon travail est précis, plus les gens qui ne me connaissent pas vont garder une image de quelqu’un d’autre, complètement; et ça c’est l’fun. Jouer, c’est mentir à plein de monde…" confie STÉPHAN  ALLARD.

C’est dans ce mensonge qu’il plonge en incarnant Sébastien, personnage principal de la pièce Les Gagnants, de François Archambault, mise en nomination pour le Masque du texte original en 1996. Le mensonge, toutefois, se fera subtil: par un jeu réaliste, quotidien même, pour que la pièce ressemble à la "vraie vie".

Présentée par le Groupe Ad Hoc, la production réunit Véronika Makdissi-Warren qui, assistée de Christian Garon, assure la mise en scène, et, outre Stéphan Allard, finissant du CADQ en 1998, les comédiens Bertrand Alain, Pierre-Yves Charbonneau, Fabien Cloutier, Hélène Florent, Myriam LeBlanc, Édith Paquet et Christian Michaud, et les concepteurs Christian Fontaine et Claudia Gendreau.

Les Gagnants met en scène Sébastien: pas de job, pas de blonde. Intelligent, qualifié, mais malchanceux, il aspire à "vivre comme tout le monde". "C’est terrible ce qu’il dit, explique Stéphan Allard: "Moi, je veux rien, dans la vie. J’ai besoin d’un salaire pour payer mon loyer, ma bouffe ; le reste j’m’en sacre. Je veux juste vivre une vie normale." Ça soulève une question importante: qu’est-ce que c’est une vie normale?"

Autour de lui gravitent des amis – des "gagnants" – qui tentent de l’aider. Les personnages, entre 27 et 32 ans, offrent le portrait de divers types qu’on croise de nos jours. "C’est une radiographie d’une certaine tranche de la société", avance le comédien. Performants, attentifs à leur image, ils illustrent des valeurs et des situations différentes: couple traditionnel, couple ouvert, réussite au travail, matérialisme…

"Sébastien, dans cet univers-là, se sent comme le dernier des loosers. Il doute beaucoup de lui-même devant le succès de ses amis. Tout le monde veut l’aider, mais chacun voit la vie uniquement à sa façon. Et tu ne peux pas imposer à un ami de devenir autre chose. Un des personnages, par exemple, lui dit: "Sébastien, faut que tu changes. Faut que tu deviennes un autre Sébastien, avec une attitude gagnante." Dans son raisonnement, c’est cohérent d’en arriver là; mais de l’entendre, ça ne laisse pas indifférent. C’est comme tout ce que François Archambault soulève dans ce texte: ça t’oblige à te questionner sur la fidélité, sur le couple, sur le travail, sur ta façon d’aborder les gens, sur le mariage, les enfants…" Les amis de Sébastien déclinent la réussite sur tous les tons; et pourtant… "Tout le monde cache quelque chose. Tout le monde, même ceux pour qui on a l’impression que ça va bien. On s’en aperçoit petit à petit. "

Les Gagnants soulève beaucoup de questions, mais donne peu de réponses. Si les personnages sont typés, ils ne sont pas, pour autant, caricaturaux. "Je ne pense pas qu’ils soient caricaturaux ou ridicules, parce qu’ils sont sincères." Ainsi, chaque personnage pourrait avoir raison, ou tort, ou un peu des deux; le spectacle ne porte pas de jugement sur eux. D’où la nécessité d’un jeu plein de nuances; la metteure en scène a insisté beaucoup sur cet aspect. "Le travail de Véro a été d’aborder tout le temps la pièce avec sincérité. Dès qu’il y avait un mouvement qui faisait trop placé, elle disait: "Non, trouve autre chose de plus naturel. " C’est tentant de faire de ces personnages des clichés, des archétypes, et c’est contre ça que Véro s’est battue pendant le travail. Il faut arriver à défendre les personnages. Il a fallu, c’est bizarre, être tendre par rapport à ces gens-là, pour que ce soit au public de prendre position, d’évaluer ce à quoi il adhère ou n’adhère pas. Nous, il faut rester très sensibles à ce que vivent les personnages. C’est… c’est assez passionnant!"

Pour Stéphan Allard, selon qui le théâtre doit faire réfléchir, cette pièce est une aventure stimulante. Dérangeante aussi. "Cette pièce-là m’a bousculé sur beaucoup d’affaires. Ça m’amène à me poser bien des questions. Ce qui en ressort, c’est que tu décides de ta version du bonheur. Et ce qui m’a vraiment touché dans ce texte-là, et qui continue de m’ébranler, c’est un grand cliché, mais c’est qu’est-ce qu’on attend? Qu’est-ce que j’attends de la vie en général, et qu’est-ce que j’attends pour vivre la vie maintenant? Pour faire de chaque moment un moment où j’ai le goût d’être? Ça, c’est une affaire qui me parle beaucoup dans ce texte-là."

Et quand on joue 27 spectacles en deux semaines, comme le fera Stéphan Allard avec Les Gagnants et Un éléphant dans le coeur, est-il possible d’apprécier le moment présent? "Oui, assure-t-il. Parce que quand les projecteurs s’allument, c’est là que c’est l’fun, dans la vie. Dans une pièce ou comme clown, l’été, à Expo Québec, peu importe où je joue, dans quoi: le plaisir est le même."

Jusqu’au 22 mars
Au Théâtre Périscope