Urbanités : Amère America
C’est avec un plaisir contagieux que le Théâtre Urbain monte pour la première fois en français la pièce SubUrbia d’Eric Bogosian.
C’est avec un plaisir contagieux que le Théâtre Urbain monte pour la première fois en français la pièce SubUrbia d’Eric Bogosian. Les comédiens réunis autour de cette oeuvre provocatrice (portée à l’écran par Richard Linklater en 1997) s’amusent visiblement à incarner une jeunesse white trash qui boit, sacre et se tape sur la gueule tout en regardant la vie passer depuis le stationnement d’un dépanneur, convaincue que "toute est tellement crissement futile". L’adaptation québécoise brute et directe de Martin Thibaudeau et la mise en scène réaliste de Marc Thibaudeau conviennent parfaitement à ce regard cinglant sur une Amérique en quête de sens.
Urbanités, c’est du théâtre verbeux, extrême, violent et explicite, déconseillé aux chastes oreilles. On y est raciste, homophobe, sexiste et bagarreur. La bière coule à flots, et les diatribes bogosiennes pleuvent. Dans le bled de Saint-Joseph débute une nuit après laquelle rien ne sera jamais plus pareil. Trois amis boivent, s’empiffrent et professent des énormités en attendant que viennent les rejoindre Manu, l’artiste-performeuse, et Loulou, tout juste sortie d’un centre de désintox. Pour passer le temps, les glandeurs insultent et menacent le propriétaire grec du dépanneur du coin. L’arrivée en limousine de Stephy, leur ancien compagnon de classe déménagé à Montréal, où il est devenu une rock star, aura des répercussions explosives…
Si les dérives adolescentes de ces désoeuvrés sont somme toute assez prévisibles, le travail inspiré des comédiens et des concepteurs, lui, sort de l’ordinaire. L’adaptation très réussie du texte respecte la pauvreté de vocabulaire de cette bande de paumés. Le décor de Julie Deslauriers épouse ingénieusement les contours de la scène, et sa clôture truquée rappellera de beaux souvenirs aux (ex) banlieusards… Les interprètes donnent quant à eux
du relief à des personnages proches du stéréotype.
Grâce au jeu complice des comédiens, il est aisé de croire que la bande se côtoie depuis l’école primaire. Sylvain G. Bissonnette incarne Nic, l’ex-militaire armé et dangereux, avec juste ce qu’il faut de folie dans le regard; Martin Thibaudeau campe le lâche Seb avec sensibilité; l’entreprenant Marco de Stéphane Guertin est rigolo; dans le rôle de Manu, la peintre qui songe à abandonner son amoureux pour la grande ville, Maxime Morin est charismatique; et Judith Baribeau compose une Loulou dont tout le corps témoigne du mal de vivre. Les visiteurs sont aussi truculents, tant le fier Stephy (Pierre-Alexandre Fortin) que sa collaboratrice nymphomane (Marie Turgeon) et le commerçant grec Costa (Georges Elia), incapable de comprendre le mal de vivre de ces jeunes qui ont tout.
L’auteur survolté de Sexe, drogues & rock’n’roll et de Talk Radio a beau nous offrir ici un portrait de génération moralisateur, le résultat est prenant, voire émouvant. Si les nihilistes crâneurs mis en scène ont un avenir incertain, il en est tout autrement de la prometteuse équipe du Théâtre Urbain.y
Jusqu’au 9 mars
À l’Espace Geordie