La Société des loisirs : Maudit bonheur
Scène

La Société des loisirs : Maudit bonheur

Avec un plaisir masochiste, on aime lorsque François Archambault trempe sa plume acérée dans les plaies de sa génération. Réjouissons-nous: après quelques égarements (La Nostalgie du Paradis, Clone-moi), le satiriste nous revient avec une création jouissive sur les horreurs commises au nom du bonheur. Pour l’occasion, il nous convie à un souper de rupture au goût âcre entre trentenaires monstrueusement heureux.

Avec un plaisir masochiste, on aime lorsque François Archambault trempe sa plume acérée dans les plaies de sa génération. Réjouissons-nous: après quelques égarements (La Nostalgie du Paradis, Clone-moi), le satiriste nous revient avec une création jouissive sur les horreurs commises au nom du bonheur. Pour l’occasion, il nous convie à un souper de rupture au goût âcre entre trentenaires monstrueusement heureux.

La Société des loisirs met donc en scène une soirée bien arrosée dans la vie de deux couples aux antipodes. Pierre-Marc (Christian Bégin) et Marie-Pierre (Marie-Hélène Thibault) ont tout pour être heureux et ne cessent de le répéter, comme pour s’en convaincre. Ils vivent dans une maison très design (un décor banlieusard d’Olivier Landreville), possèdent une piscine (même si c’est beaucoup d’entretien et qu’ils n’aiment pas l’eau), un piano (même si personne n’en joue), ont un enfant et veulent même adopter une petite Chinoise, parce qu’ils n’ont pas le temps de faire du bénévolat et qu’ainsi "on ramène le bénévolat à la maison"! Détail: pour payer tout ça, ils travaillent d’arrache-pied et n’ont plus le temps de faire l’amour. Mais qu’importe, ils sont heureux, beaucoup plus que ces couples qui se séparent autour d’eux. "Nous, on traverse les épreuves, ensemble."

Convaincu de l’importance d’avoir une vie équilibrée, le couple décide d’arrêter de boire et fumer, et de rompre avec leur ami Marc-Antoine (Normand D’Amour), trop libre pour eux. Invité pour un souper d’adieu, ce dernier se pointe avec son "amie plus" de 21 ans, Anne-Marie (Geneviève Néron), et une douzaine de bouteilles de vin. Tout au long de cette soirée, les hôtes brandissent leur supposé bonheur comme un crucifix devant ces

invités diablement ouverts d’esprit mais finiront, l’alcool aidant, par laisser tomber les masques (et quelques vêtements!).

Évidemment, tout cela est présenté à la manière Archambault: grinçante, férocement drôle, entre la caricature et l’hyperréalisme. La mise en scène de Michel Monty sert bien ce texte, dont les ficelles se révèlent toutefois un peu grosses. Le spectacle s’essouffle au moment où la comédie acide se transforme en drame, pour nous mener vers une finale peu crédible. Une faiblesse qui, à mon avis, ne gâche pas le plaisir que procure cette étude sur la difficulté d’être heureux et de rester libre, même en couple. Le langage cru, les propos superficiels et la sexualité débridée des protagonistes témoignent avec éloquence de leur frustration et de leur solitude. À les entendre monologuer sur leur piscine ou les rendements de leurs investissements, on se croirait devant Les Voisins, 20 ans plus tard…

Les quatre comédiens dirigés par Monty réussissent à rendre crédibles ces êtres médiocres, à la limite de l’archétype. Dans le rôle de la femme délaissée, alcoolique en devenir, Marie-Hélène Thibault est particulièrement touchante; Christian Bégin compose avec finesse le mari qui disjoncte; Geneviève Néron est fraîche et naïve; tandis que Normand D’Amour se montre à l’aise dans le rôle de l’hédoniste fort en gueule, qu’il connaît bien.

Depuis 10 ans, François Archambault pose sa loupe sur une génération désaxée, en quête de conformité et de réussite. Il scrute avec brio une faune matérialiste qui avait 20 ans dans Cul sec, quelques poussières de plus dans 15 secondes, s’est mariée dans La Nostalgie du Paradis et goûte maintenant aux joies de la vie familiale. En attendant que d’autres épisodes s’ajoutent à cette fascinante chronique de la névrose ordinaire, une soirée en compagnie d’Anne-Marie-Pierre-Marc-Antoine s’impose.y

Jusqu’au 12 avril

À La Licorne