Alexis Martin : La philosophie dans le bureau
La nouvelle création d’Alexis Martin nous introduit dans un lieu étrange et mystérieux: les Bureaux. Dans cette fable racontant les destins croisés d’une poignée de gratte-papiers en quête de sens, l’auteur de Matroni et moi se penche sur la transcendance, la perte de repères spirituels et la sexualité! Avec sérieux mais ludisme.
Une plaque dorée sur la façade annonce A. Martin, dramaturge. La réceptionniste me guide vers un tout petit espace, où un homme en costume-cravate s’affaire devant un ordinateur. Lorsqu’elle amorce les présentations, il sourit timidement. Pour promouvoir sa nouvelle création, Bureaux, Alexis Martin a mis en scène trois rendez-vous avec les journalistes, dont un dans un cabinet de médecin et un autre au presbytère. Je l’ai rencontré dans un décor de papier, celui de son bureau du boulevard St-Joseph aux murs chargés de livres, là où il a écrit cette fable racontant les destins croisés d’une poignée de gratte-papiers en quête de sens.
Cette intrigante création n’a rien d’une satire de la vie de bureau, avec ses coups bas et ses réconciliations autour de la machine à café, prévient d’entrée de jeu l’auteur de Matroni et moi, mais s’intéresse plutôt aux espaces de travail, à ces pièces mystérieuses meublées d’une table et d’un classeur où l’on se retrouve en tête-à-tête avec soi-même. "Ce sont des lieux poétiques, étranges et mystérieux, où chacun rédige à sa façon une partie du récit, de la vérité du monde, explique-t-il d’un ton posé. J’ai l’impression d’avoir écrit des nouvelles sur la ville de Montréal, et d’avoir choisi au hasard de regarder ce qui se passe dans 11 bureaux."
Parmi les 19 personnages de Bureaux, un prêtre, un rabbin et un neuropsychiatre occuperont le devant de la scène. "Les thèmes du spectacle sont la douleur et la perte de repères, au niveau spirituel mais aussi dans la vie ordinaire. On parle beaucoup de la place de Dieu, d’un dieu absent dont la place existe toujours, même si on l’a décrété mort. Au Québec, on a enterré le christianisme un peu vite, je trouve…"
Tel qu’il l’a démontré dans Transit Section 20 et Parade du temps qui passe, des pièces créées avec son complice Jean-Pierre Ronfard, Alexis Martin est un vulgarisateur doué, un philosophe pince-sans-rire qui aime réfléchir à voix haute. Cette fois, il se penche sur la transcendance… et la sexualité. "Comment vivre sa sexualité dans une ère qu’on qualifie de post-chrétienne? Je ne sais pas, il faut y penser, creuser. Et ça, je le fais à travers des jeux de théâtre, avec beaucoup de ludisme… même si cela a l’air très sérieux lorsque j’en parle! (rires).
"Je suis allé à la recherche d’une tonalité, d’un humour un peu spécial, qui est plus un humour de l’étrangeté que du burlesque. Ainsi, les bureaux seront investis par des forces un peu obscures ou des individus bizarres. C’est un comique qui est sur une ligne pas tout à fait franche, et cette indécision-là me semble féconde." Pour nous faire rigoler, il compte sur des collaborateurs doués: Guylaine Tremblay, Miro, François Papineau, Julie Le Breton, Stéphane Brulotte et Jacques l’Heureux.
Un homme à tout faire
Depuis sa sortie du Conservatoire d’art dramatique en 1986, Alexis Martin excelle sur tous les tableaux. Il joue à la télé, au ciné (Un 32 août sur terre, Les Boys 3, etc.), écrit de la poésie (Des humains qui bruissent) et, surtout, persiste à consacrer le gros de son temps à l’art théâtral même si, pour cela, le touche-à-tout de 38 ans doit vivre avec des horaires déments. "Un acteur n’a pas le choix de toucher à tout pour gagner sa vie. Et moi, j’ai deux enfants à faire vivre, alors… Il faut être polyvalent et essayer de s’en faire un plaisir, pas une douleur."
Son bonheur, il le trouve aussi en participant à toutes les étapes d’une création. "J’aime mettre en scène ce que j’écris, un peu par pudeur, parce que je coupe beaucoup dans le texte durant les répétitions." Malgré cela, il révèle qu’il travaillera l’an prochain en collaboration avec son ami Daniel Brière, nouveau codirecteur du NTE aux côtés de Martin et Ronfard.
Pour l’instant, il préfère oeuvrer en solo pour ce spectacle qui puise à diverses sources philosophiques, dont les Récits hassidiques de Martin Buber. "Les maîtres du hassidisme ont un rapport très intéressant à l’écriture. Dans ma pièce, il est question de la parole comme lieu de passage mais aussi comme lieu d’obscurcissement. La mystique hassidique est parfaitement consciente de ce paradoxe." Jamais il n’oubliera "l’univers extraordinaire, le capharnaüm total" qu’il a découvert lors d’une visite dans une synagogue. "Parmi les bureaux mis en scène, il y a celui d’un rabbin. Je suis très attaché à la culture juive parce que j’ai été élevé un peu avec ces gens-là, sur la rue Hutchison. Je me suis donc plongé dans cette culture, et cela m’a amené vers toutes sortes de thèmes comme l’errance, la disparition, la souffrance."
Si Alexis Martin se dit à l’aise dans sa laïcité, il en est tout autrement de beaucoup de trentenaires, observe-t-il. "Je suis un enfant de l’école publique laïque. Plusieurs de mes camarades dans la même situation sont allés vers des bricolages, du genre un peu de bouddhisme mélangé à de l’astrologie… Il y a un sentiment de perte, d’angoisse; le désespoir qu’on rencontre chez les 30-40 ans est un sujet brûlant. Pour moi, la religion est une aventure de pensée fantastique mais je sais que, pour d’autres, c’est un questionnement douloureux. À quoi s’accrocher? À quoi rime la vie quand on n’a plus d’enfants, quand le cycle de la vie peut être interrompu comme ça? C’est nouveau dans l’histoire de l’humanité, cette liberté vertigineuse – que j’adore, ceci dit."
Pour poursuivre la réflexion en compagnie de M. Martin et de ses associés, prière de se présenter à l’un de leurs Bureaux…
Du 25 mars au 26 avril
À l’Espace Libre