Farces conjugales : Feydeau de gamme
Le couple semblait a priori curieusement assorti, mais nul doute que le fruit de leur union ponctuelle saura rallier les sceptiques. Dans Farces conjugales, Brigitte Haentjens monte Georges Feydeau avec style, précision et un grain de folie qui s’emballe jusqu’au délire. Une réjouissante réussite.
Le couple semblait a priori curieusement assorti, mais nul doute que le fruit de leur union ponctuelle saura rallier les sceptiques. Dans Farces conjugales, Brigitte Haentjens monte Georges Feydeau avec style, précision et un grain de folie qui s’emballe jusqu’au délire. Une réjouissante réussite.
Et ce, même si le spectacle du Rideau Vert nous présente finalement un duo plutôt que le ménage à trois prévu: à la dernière minute, la metteure en scène a retiré de la production l’une des farces, Feu la mère de Madame – où devaient jouer Albert Millaire et Hélène Loiselle – , pour des raisons "artistiques". Impossible de savoir de quoi aurait eu l’air le spectacle entier, mais comme tel, il est enlevé et fort cohérent.
Les deux piécettes en un acte s’appuient en effet à peu près sur le même argument: un conflit domestique entre une femme à la tenue décontractée – et très écourtichée! – dont le mépris des conventions va jusqu’à la légèreté, et son mari plus conformiste, qui cherche désespérément à protéger les apparences pour le bien de sa carrière. Les hommes s’affolent devant la liberté de ces ingénues qui ne censurent pas davantage leurs propos que leur tenue devant les étrangers.
Ce n’est pas ici le Feydeau brillant tricoteur de chassés-croisés adultérins du Dindon, mais un satiriste qui pose une loupe grinçante sur les moeurs maritales. Dans ces deux courtes Farces conjugales, écrites dans les années suivant sa propre séparation, le vaudevilliste part de détails du quotidien, voire de problèmes triviaux qu’entraîne la difficile vie en couple, afin de caricaturer l’institution matrimoniale. Vaux mieux en rire…
Et même si la situation loufoque et la frénésie de l’action sont éventuellement de la partie, on touche presque à l’absurde dans ces textes où les conflits dégénèrent à partir d’une peccadille et où le langage (ces jeux de mots où l’un des époux triture une expression) révèle l’incompréhension béante entre deux êtres qui ont des obsessions aux antipodes.
Le couple d’On purge bébé n’en est plus, c’est évident, aux doux roucoulements des débuts. Monsieur Follavoine, un fabricant de porcelaine, attend un visiteur susceptible de lui obtenir un lucratif contrat de l’armée française pour la production de… pots de chambre. Mais sa tendre moitié, bigoudis sur la tête et seau à la main, a des soucis autrement plus importants: leur fils Toto "n’a pas été" ce matin, et le petit monstre, enfant-roi avant l’heure, refuse catégoriquement d’avaler son laxatif. Le pauvre invité sera enrôlé de force dans ce conflit entre la vie domestique et les intérêts professionnels – très actuelle comme opposition…
Malgré quelques longueurs dans le texte, les excellents Marc Béland, Marie-France Lambert (au jeu très agile) et Bernard Meney, qui n’en sont pas à leur premier Feydeau, emportent le morceau avec brio. Même le petit Étienne Charron tient son bout avec conviction, en enfant buté et insolent. Toute la distribution du spectacle (qui comprend aussi Louise de Beaumont et François Trudel) est d’ailleurs au diapason du jeu ludique et à la théâtralité exacerbée que requiert Feydeau.
C’est le genre de registre où excelle Anne-Marie Cadieux, dont l’hilarant numéro de cocotte dépourvue d’inhibition vaut à lui seul le déplacement. Mais n’te promène donc pas toute nue! est l’admonestation que lance le député Ventroux (James Hyndman, lui aussi très bon en homme qui perd les pédales) à son épouse évaporée, qui déambule nonchalamment en chemise de nuit transparente devant le domestique, son fils de treize ans, ou pis, les visiteurs impromptus. Un morceau d’anthologie culotté et complètement délirant.
En ouverture des farces, Brigitte Haenjtens a imaginé de charmantes pantomimes, qu’interprètent Brigitte Lafleur et Jean Turcotte avec une grande éloquence muette, sur la délicieuse musique aux accents mécaniques parodiques signée Robert Normandeau. La production bénéficie aussi du travail de douées conceptrices: les décors aux lignes modernes et aux couleurs très franches d’Anick La Bissonnière, les costumes imaginatifs de Julie Charland, les éclairages de Sonoyo Nishikawa.
Un travail visiblement aussi sérieux que le résultat est amusant.
Jusqu’au 5 avril
Au Théâtre du Rideau Vert