Solid State : Briser les frontières
Montréal serait la capitale canadienne des breakers féminines! Le collectif Solid State pratique avec une "physicalité" empreinte d’humour ce style qui acquiert ses lettres de noblesse en danse contemporaine. Présenté dans le cadre de la série DNA-Définition Non Applicable, leur nouveau spectacle, Etchasketch, mélange house et breakdance.
"Une fois, on se trouvait à Toronto, lors d’une compétition de breakdance. Il n’y avait que des gars et ceux-ci n’arrêtaient pas de répéter que ce n’était pas juste pour nous de se mesurer à eux. Finalement, c’est nous qui avons gagné. Ça leur a bouché un coin!" me raconte Hélène Simard, l’une des membres du collectif de breakers féminines Solid State. Les b-girls se font rares au Canada, en dehors de Montréal. C’est pourquoi, selon cette danseuse montréalaise, bon nombre d’entre elles finissent par s’installer dans notre métropole.
"Le breakdance est né, en partie, d’une nécessité d’exprimer l’aliénation d’une urbanité composée d’une architecture qui projette ses milliers de lignes dans l’espace et d’un rythme de vie de plus en plus accéléré et teinté de technologie et de violence, explique la b-girl. Dans cette danse, la présence de l’accident est imminente. En plus, les mouvements sont de plus en plus complexes et variés. Quand le breakdance a commencé, vers la fin des années 70/début 80, à New York, c’était assez basic. Mais ce style purement new-yorkais a été, depuis le temps, largement dépassé par les styles hybrides des autres grandes villes." La culture hip-hop, à laquelle appartient le breakdance, compte d’ailleurs actuellement plusieurs types de danses: locking, popping, house… Et le breakdance, à lui seul, comprend un bon nombre de composantes: foot work, up rock, power move, freeze…
Il s’agit donc d’une danse qui, par sa technique singulière, mérite dorénavant qu’on la considère comme faisant partie du répertoire contemporain. De plus en plus de créateurs se laissent imprégner par l’univers du hip-hop. On voit donc apparaître un nombre progressif d’oeuvres portant la trace de cette culture urbaine. Il est également intéressant de constater que ce style est le premier, depuis longtemps, à captiver et réunir un aussi large public. Peut-être serait-ce enfin la façon d’amener un plus grand nombre de gars à pratiquer la danse contemporaine?
Une chose est certaine : le genre de spectacle que propose Solid State fait partie de la solution. Les b-girls de ce collectif savent aborder la thématique des relations entre individus avec une "physicalité" empreinte d’humour. Tout pour plaire aux mecs! Le breakdance est un moyen constructif de canaliser les tensions interpersonnelles, car l’arrogance qui ressort de la rivalité entre les participants est sainement véhiculée à travers le mouvement; ce n’est qu’un jeu. Le message est alors très clair: danser avec l’autre, au lieu de lui tirer dessus. Peut-être devrait-on initier le président Bush?
"Dans notre nouveau spectacle, Etchasketch, on mélange house et breakdance. Le titre est inspiré du jeu du même nom. Celui où il y a deux roulettes permettant de faire des dessins sur un tableau qu’on peut effacer en le brassant. Dans ce jeu, les images prennent forme avec des lignes, comme pour le breakdance et l’architecture urbaine". Un lien tout à fait intéressant qui n’est pas sans rappeler le ludisme associé à cette danse tout aussi divertissante à regarder qu’à pratiquer.
Hélène Simard est présentement enceinte de plus de sept mois. C’est pourquoi elle occupe, pour cette production, le poste de répétitrice. En d’autres temps, les membres du collectif le font à tour de rôle. Solid State défie les lois de la probabilité, car il ne possède pas de directrice artistique. Ses dix membres sont à la fois chorégraphes et interprètes. "On fonctionne par improvisation pendant plusieurs semaines, me confie la future mère. Ensuite on intègre le matériel à une structure. Pour la dernière création, l’impro a duré trois mois. Si on avait tout gardé, on aurait pu faire un spectacle de cinq heures. Il a donc fallu élaguer. C’est parfois dur de voir tomber nos propres idées. Ça apprend l’humilité."
Ce spectacle, présenté dans le cadre de la série DNA-Définition Non Applicable, sera donc interprété, cette fois-ci, par huit des dix membres (Dana "Radio" Schnitzer étant blessée), soit Jodee "Feisty" Allen, Kamilya "Silly Puddy" Copney, Claudia "Viva Mancina" Fancello, Maureen "Monchichi" Grant, Susan "Silk Soul" Lliyan, Emmanuelle "Cleopatra" Le Phan, Danielle "D-Rockin" Rankin et Pamela "MissChieva" Schneider. De plus, l’éclairage sera assumé par Yan Lee Chan et la musique, par DJ Mini.
Vous êtes tous conviés au party multimédia de fermeture du DNA, organisé par Kops Productions. Il aura lieu le 29 mars à 22 h, au Ecube: 215, rue Murray (info: 957-2284).
Du 27 au 30 mars
À Tangente
Retour critique
Samedi dernier, Karine Cloutier présentait K-solo, à la Maison de la culture du Plateau Mont-Royal. Il s’agissait d’une commande de solos qu’elle avait faite à Lucie Grégoire, Harold Rhéaume, Pierre-Paul Savoie et au tandem Anne-Marie Alonso et Parise Mongrain. Elle a très bien su s’approprier ces quatre types d’imaginaires totalement différents. Je crois d’ailleurs que cette jeune danseuse pourrait danser l’oeuvre de n’importe qui avec une justesse désarmante. Ce qui nous envoûte, quand on la regarde danser, c’est l’univers qu’elle réussit à créer avec une générosité non calculée. On oublie alors plus d’une fois le chorégraphe et sa pièce: il reste un corps rempli d’un feu déchargé prodigieusement dans l’espace, tel celui d’une étoile filante entrant en contact avec l’atmosphère qu’elle engendre.
Malgré le fait qu’elle ait été promue bachelière en danse l’année dernière, elle possède déjà l’étoffe d’une interprète de haut calibre. Pour assumer un solo devant un grand public, cela prend une corporéité solidement maîtrisée. Imaginez quatre, un à la suite de l’autre, se situant en plus dans des registres qui n’ont rien en commun. Il faut le faire! Elle l’a fait, et avec brio. Si nous ne la voyons pas apparaître au sein d’une grande compagnie d’ici les cinq prochaines années, nous pourrons alors être en droit de nous poser de sérieuses questions. Car une telle intégrité artistique est un trésor qui, selon moi, ne doit pas être mis à l’écart par les exigences pernicieuses d’un "casting" chorégraphique souvent trop étroitement sélectif et discriminatoire.