Maxime Denommée : Le feu de la danse
Scène

Maxime Denommée : Le feu de la danse

Avec Danser à Lughnasa, le Théâtre du Nouveau Monde accueille le metteur en scène Ben Barnes, qui monte son compatriote Brian Friel. Et le jeune comédien Maxime Denommée, fort de son récent Masque d’interprétation, y trouve son second rôle irlandais.

Maxime Denommée passe un deuxième printemps consécutif en Irlande. Sur scène, du moins. Le jeune comédien répétait Howie le Rookie, la pièce irlandaise qui lui a récemment valu un Masque d’interprétation, quand on lui a offert un rôle dans Danser à Lughnasa, de Brian Friel, au TNM. La coïncidence était trop belle…

Dans la réalité, Maxime Denommée a aussi visité la douce Irlande, y passant trois semaines l’été dernier à la faveur d’un colloque auquel participait sa copine sociologue. Les deux, qui ont tourné un documentaire sur les tavernes à Montréal, une tradition aux racines irlandaises, en ont profité pour écumer les pubs. S’inspirant de cet univers dublinois pour Howie… – qu’il reprendra l’an prochain -, le comédien a aussi visité le comté rural de Donegal, où est située sa nouvelle pièce. "Ça m’a fait beaucoup penser à nos campagnes, dit-il, avec l’exode de la jeunesse. Il y a une espèce d’amertume."

Écrite en 1990, Danser à Lughnasa fait plutôt revivre l’Irlande profonde de 1936. Celle où vivent pauvrement les cinq soeurs Mundy, sous la supervision très stricte de l’aînée (Louise Laprade). Avec le retour du frère (Eudore Belzile, le directeur du Théâtre des gens d’en bas, qui coproduit le spectacle), un missionnaire forcé de quitter son Ouganda chéri, la pièce orchestre un choc des cultures entre deux visions du monde: la dimension païenne (les fêtes celtiques de la récolte) et cet univers catholique répressif, où le plaisir fait l’objet de restrictions.

"L’arrivée de la radio amène une espèce de frénésie car la musique entre dans la maison, précise Maxime Denommée. C’est comme si, par la danse, les personnages pouvaient exprimer tout ce qu’ils refoulaient en eux. Il y a une scène dans la pièce où toutes embarquent dans la danse. C’est très touchant. Ça donne la chair de poule."

Lui-même observe plutôt l’action en spectateur puisqu’il joue le narrateur, l’"enfant de l’amour" de la soeur cadette, qui raconte ses souvenirs avec 25 ans de recul. Un rôle en retrait parfois un peu frustrant. "Tout le monde a des cours de danse, et moi je ne danse pas! Mais c’est un autre travail. J’essaie de me limiter à dire ce magnifique texte le plus simplement possible. On n’a pas besoin d’appuyer." Maxime Denommée vante aussi la sobriété du travail du metteur en scène Ben Barnes: "Il connaît tellement bien la pièce!"

Son personnage renseigne sur le sort futur des soeurs, sur lesquelles il jette un éclairage différent. "On revient dans l’action en sachant comment elles vont finir. C’est très troublant: elles n’ont pas des destins très drôles. Mais ça ne tombe jamais dans le mélo. Ces femmes ne se plaignent pas. C’est leur vie, et elles sont fières, solidaires."

À vitesse grand v
Voilà qui change en tout cas ce comédien plutôt accoutumé à plonger dans l’intensité très forte de personnages troublés. Pourtant, ce timide et discret jeune homme – mais qui avoue un côté un peu cabotin – était le plus réservé de sa classe du Conservatoire d’art dramatique. "Mes camarades de classe m’écoeuraient en disant que je ferais toujours les jeunes premiers plates à jouer, les amoureux naïfs. Mais finalement, je n’ai jamais joué ça…"

Avant même sa sortie du Conservatoire, en 1998, le comédien à la baby face a décroché un rôle d’adolescent révolté dans Trick or Treat, un gros hit, et les choses ont déboulé. Rondement. En moins de cinq ans, Maxime Denommée est devenu l’un des fleurons de cette jeune génération qui s’illustre de plus en plus sur scène, et dont le récent Cheech représentait un bel échantillon. Tous des comédiens de 27 ou 28 ans, qui aiment un jeu très direct.

L’acteur primé au Gala des Masques l’admet: la reconnaissance est venue très vite. "Ça me donne confiance, mais ça ne me montera pas à la tête. Je ne pense pas devenir désagréable pour autant, rigole-t-il. J’espère que ça va continuer parce que je ne veux pas être un feu de paille. J’ai toujours voulu faire du théâtre."

On n’est pas trop inquiet pour lui: outre la reprise de Danser… au Bic cet été, celui qui apparaîtra dans La Grande Ourse, une télésérie de Patrice Sauvé, à l’automne, a encore en réserve en mai un petit rôle dans Capharnaüm (sa cinquième pièce à la Licorne: "Je suis comme un acteur en résidence!")

Maxime Denommée n’en revient toujours pas de sa chance. "Cabaret Neiges noires a été une révélation pour moi, le show qui m’a dit: ça peut être bon, le théâtre! Et là, je joue avec Suzanne Lemoine à la Licorne et avec Dominique Quesnel au TNM. Deux comédiennes qui m’ont donné envie de jouer…"

Jusqu’au 24 avril
Au TNM

Ben Barnes: de Dublin à Montréal
Ben Barnes dirige le réputé Abbey Theatre, le théâtre national d’Irlande, fondé en 1904 (notamment par l’écrivain nobélisé Yeats). Depuis cinq ans, le metteur en scène dublinois a monté trois pièces de sa verte île au Centaur, dont un célébré Waiting for Godot. Avec Danser à Lughnasa, traduite par Paul Lefebvre, il fait son entrée dans un théâtre francophone de Montréal.

"Le style de jeu des acteurs francophones est très expressif et émotif, constate-t-il. C’est beau à voir, mais ce n’est pas entièrement approprié pour Danser à Lughnasa, où les émotions sont plus indirectes et sous-jacentes. Les comédiens ont dû modérer leur style pour cette pièce, qui est très tchekhovienne. Mon style de direction est de toute façon très retenu. Je travaille aussi beaucoup sur les détails. Cette pièce est pleine de détails domestiques. Ils peuvent sembler accessoires, mais ils font partie de la symphonie de la pièce."

Né en 1929, considéré comme "l’un des plus grands dramaturges vivants de langue anglaise", Brian Friel est d’ailleurs surnommé le Tchekhov irlandais. Parmi sa vingtaine de pièces, Danser à Lughnasa est sa plus connue internationalement. "C’est devenu un classique du théâtre irlandais contemporain. Elle a été créée à l’Abbey, puis a fait le tour du monde, a connu un grand succès à Broadway."

Mais Ben Barnes en signe ici une première production franco-québécoise. Il estime que cet univers conservateur des années 30, sous le contrôle de l’Église catholique, devrait évoquer de fortes résonances à Montréal et en province, où la production partira en tournée, à l’automne. Mais par-delà l’époque, "l’un des thèmes clés de Danser…, c’est l’incapacité des gens à faire face au changement. Et je pense que c’est commun à toutes les générations."

Le metteur en scène a hâte de voir la réaction des spectateurs. "J’aime beaucoup travailler à Montréal parce que le public me rappelle celui de Dublin: passablement sophistiqué et perspicace." Ayant noué de bonnes relations avec plusieurs comédiens et concepteurs locaux, il espère poursuivre cette relation féconde. Celui qui est devenu en quelque sorte le spécialiste du théâtre irlandais à Montréal souhaiterait éventuellement monter d’autres textes que ceux de ses compatriotes… (M. L.)