Frédéric Blanchette : Le jeu de la vérité
Après la mise en scène du très réussi Cheech, FRÉDÉRIC BLANCHETTE se remet à l’ouvrage en plongeant dans l’univers inquiétant de Harold Pinter. Il monte La Collection et Ashes to Ashes. Bizarre, bizarre.
Après le vif succès de Cheech, François Létourneau et Frédéric Blanchette, qui en étaient respectivement l’auteur et le metteur en scène, ne se sont pas reposés très longtemps sur leurs lauriers. La dynamique petite compagnie qu’ils ont fondée en 2000 avec Catherine-Anne Toupin, le Théâtre ni plus ni moins, en est déjà à sa cinquième production, et ses projets gagnent en ampleur et en complexité. Après trois pièces américaines et une création de Blanchette – Pour faire une histoire courte…, qui sera reprise l’an prochain, comme Cheech -, ils ont choisi cette fois de présenter deux histoires courtes de Harold Pinter.
Des univers toujours différents, mais liés par une même conception du jeu de l’acteur: les trois larrons du Théâtre ni plus ni moins se sont inspirés des théories que David Mamet a développées en réaction à la technique de l’Actors Studio. "C’est un jeu tourné vers l’action, une action mentale que les personnages ont à accomplir, explique Frédéric Blanchette. Et on n’essaie pas de jouer un personnage. On fait confiance qu’il va se créer dans la tête du spectateur. En se concentrant sur des actions précises, jouables concrètement, on cherche à avoir un véritable être humain sur scène. Que l’acteur ne se cache pas derrière un personnage ou une émotion, mais qu’il soit présent pour vrai. Les émotions vont surgir selon la situation. Mais on essaie de ne pas les commander."
Ce jeu dépouillé est d’abord un outil pour mieux raconter une histoire. "Ce qui tient un spectateur sur le bout de son siège, pour moi, c’est toujours l’histoire. J’aime les pièces qui vont toujours de l’avant, où chaque élément fait progresser l’action. C’est pour ça que j’aimais Cheech. Et c’est pour ça que j’adore Pinter. Chaque élément est une brique qu’on ajoute au mur, et à la fin de la pièce, on a toute l’histoire."
Ça fait longtemps que Blanchette est séduit par l’univers intrigant et inquiétant du grand auteur anglais du Retour. "Il y a toujours une menace qui gronde; des personnages qui ont l’air de vouloir des choses pas claires l’un de l’autre… Pinter refuse d’expliquer dans ses pièces les motivations profondes de ses personnages. Et on comprend, mais en même temps, on ne comprend pas. On suit le fil de l’histoire, comme un thriller, mais on ne sait pas pourquoi tout ça arrive."
Le spectacle réunit deux pièces en un acte écrites à 35 ans d’intervalle, ce qui permet d’offrir "un petit spectre" du dramaturge né en 1930, et de mesurer sa progression vers des pièces "beaucoup plus poétiques, et simples au niveau scénique, et d’autant plus étranges". Dans La Collection, écrite en 1961, une femme avoue à son mari (Benoît Gouin) une aventure qu’elle aurait eue avec un autre homme, Bill (François Létourneau). Interrogé par l’époux, celui-ci nie, et les deux hommes développent une étrange amitié, au déplaisir du conjoint de Bill (Henri Chassé)… Un peu comme Chacun sa vérité, de Pirandello, La Collection multiplie les versions d’une même histoire, et la vérité demeure insaisissable. "Ça nous a posé un beau défi, parce qu’on ne peut pas jouer dans le flou, note le metteur en scène. On s’est aligné sur une histoire qui se peut, mais sans donner les cartes au public."
Datant de 1996, Ashes to Ashes reprend un peu où La Collection finit, "avec quelqu’un qui tente de connaître une vérité, et un autre qui indique que la vérité n’est pas aussi simple. Pinter a souvent dit que la vérité n’était pas simple et unique. Et la différence entre un événement réel et un événement fictif est nulle. Si on dit à son conjoint qu’on a une aventure, ça n’a aucune importance que ce soit vrai ou pas. À partir du moment où c’est dit, le conjoint va se l’imaginer, l’événement existe concrètement dans sa tête, même si c’est un mensonge".
L’autre lien entre les pièces, c’est la vision de la femme – toutes deux seront campées par Catherine-Anne Toupin. "La femme est omniprésente au niveau symbolique, elle est désirée, presque vénérée. Mais on n’a pas de contact personnel avec elle. Dans plusieurs pièces de Pinter, la femme est hyper-mystérieuse, impénétrable."
Blanchette interprète lui-même le mari jaloux d’Ashes to Ashes, qui tente d’arracher à sa femme des confidences sur une relation passée et abusive. "Il est intrigué par cet ancien amant, et un peu envieux du pouvoir qu’il avait sur elle. Il va finir par devenir ce bourreau, comme si c’était son seul moyen d’avoir un peu d’emprise sur elle."
Acteur, metteur en scène, auteur, traducteur, Frédéric Blanchette semble avoir plusieurs cordes à son arc. Mais pour ce comédien de formation, toutes ces facettes du métier convergent vers le jeu, vers son approche particulière de l’interprétation. "J’ai commencé à faire de la mise en scène pour pousser une démarche que je sentais vaguement, qui se précise tranquillement avec le temps, et, je pense, se raffine un peu."
Pourtant, la mise en scène plaît beaucoup à ce "lion" qui aime mener une équipe. Sa première faite en dehors de sa compagnie n’est pas passée inaperçue auprès de certains directeurs de théâtre. "Malgré mes quatre mises en scène avec la troupe, je n’avais jamais travaillé avec des concepteurs. J’ai appris ça sur Cheech. Petit à petit, chaque élément du métier rentre, et je les aime pas mal tous…"
Du 17 avril au 10 mai
Au Théâtre J.-A.-Bombardier du Musée McCord