La Demande d’emploi : Travail exigeant
Scène

La Demande d’emploi : Travail exigeant

Comment un gagne-pain peut-il se transformer en instrument de torture qui laisse un homme en charpie? C’est ce que démontre La Demande d’emploi, une puissante tragédie moderne de Michel Vinaver, qui défie, agace, obsède et secoue. Dans le programme, Ginette Noiseux, directrice de l’Espace Go, prévient: "Vinaver dérange. La dynamique de cette dramaturgie insolite bouscule nos habitudes d’écoute." Et, de fait, on ose à peine respirer tant la tension est grande entre le public et les quatre interprètes de cet exigeant spectacle, orchestré par René-Daniel Dubois. Pas facile, cette Demande.

Comment un gagne-pain peut-il se transformer en instrument de torture qui laisse un homme en charpie? C’est ce que démontre La Demande d’emploi, une puissante tragédie moderne de Michel Vinaver, qui défie, agace, obsède et secoue. Dans le programme, Ginette Noiseux, directrice de l’Espace Go, prévient: "Vinaver dérange. La dynamique de cette dramaturgie insolite bouscule nos habitudes d’écoute." Et, de fait, on ose à peine respirer tant la tension est grande entre le public et les quatre interprètes de cet exigeant spectacle, orchestré par René-Daniel Dubois. Pas facile, cette Demande.

Fage (Claude Prégent) est un homme en lambeaux. Il y a trois mois, son patron l’a poussé à démissionner de son poste de directeur des ventes pour le remplacer par un jeunot aux dents longues. Depuis, le chômeur multiplie les démarches pour se recaser. Dans l’espoir de dénicher enfin un emploi, il répond aux questions indiscrètes de Wallace (Vincent Bilodeau), un chasseur de têtes arrogant qui lui fait miroiter une place dans une agence de voyages.

Pendant ce temps, Louise, l’épouse de Fage (Isabelle Miquelon), accepte un petit boulot, même si son mari est contre, tandis que leur fille de 16 ans, Nathalie (Kathleen Fortin), mord dans la vie à pleines dents et rêve de révolution, enceinte d’un Africain polygame. La révolution, la révolution, elle porte bien son nom, lui répondra cyniquement son père. Ça tourne, ça tourne, et ça revient au même…

Il y a 30 ans, l’histoire de Fage était audacieuse, voire prémonitoire; aujourd’hui, elle est tristement banale, alors que des masses de travailleurs sont largués après des années de labeur; c’est surtout la forme fragmentée qui étonne. Les personnages sont grimpés sur des blocs entourés de bouts de bois, comme des naufragés sur leur île. Durant les 30 "morceaux" qui composent ce puzzle théâtral, ils s’expriment à tour de rôle, se répondant rarement de manière directe. Un peu comme si nous étions plongés dans l’esprit de Fage et que les voix entendues traversaient ses pensées.

René-Daniel Dubois n’a pas cherché à atténuer le vertige que procure ce drame aux résonances universelles, bien au contraire. Le décor de fin du monde de Gabriel Tsampalieros et les éclairages de Guy Simard étourdissent, tout autant que les mots. Dès le début de la représentation, le public est pris en otage, successivement ébloui par des ampoules vertes, puis prisonnier du noir, au point où retentissent quelques cris de protestation dans les gradins. Du pur RDD, diront certains. Portant des vêtements sombres, les personnages se découpent sur une toile de fond lumineuse, tandis que leurs voix amplifiées et la musique de Michel Smith contribuent à créer un effet hypnotique.

L’impression d’écrasement, d’asphyxie qui est ainsi communiquée au public est la même, s’imagine-t-on, que celle ressentie par Fage, qui attend l’arrivée d’une offre d’emploi comme d’autres espéraient la venue de Godot.

Le corps tordu, la chemise maculée de sang, Claude Prégent incarne avec intensité cet homme que l’inactivité tue. Pas de fausse note du côté de ses collègues, qui livrent leur exigeante partition avec rigueur et sensibilité. Kathleen Fortin est d’une fraîcheur bienvenue, qui tranche sur le reste.

Telle que mise en scène par René-Daniel Dubois, La Demande d’emploi peut rebuter. Toutefois, ce spectacle à la fois agaçant et émouvant, d’une grande beauté formelle, plaira peut-être à ceux qui s’interrogent sur l’importance que prend le travail dans leur vie… et croient que le théâtre est avant tout un lieu de provocation.

Jusqu’au 3 mai
À l’Espace Go