Théâtre : Critique: Lentement la beauté
Michel Nadeau, qui signe la mise en scène et le texte final de la création collective Lentement la beauté, parlait, en entrevue, de ""gageure"" : créer une pièce ""intéressante et touchante, sans conflit, ni affrontement"". Pari tenu: Lentement la beauté, subrepticement, se glisse en nous et, en douceur, nous fait découvrir la beauté du monde.
Jusqu’au 26 avril
Au Théâtre Périscope
Michel Nadeau, qui signe la mise en scène et le texte final de la création collective Lentement la beauté, parlait, en entrevue, de "gageure" : créer une pièce "intéressante et touchante, sans conflit, ni affrontement". Pari tenu: Lentement la beauté, subrepticement, se glisse en nous et, en douceur, nous fait découvrir la beauté du monde.
En cette période troublée, voici une pièce qui émeut profondément, qui fait du bien. Simplement, sans jamais schématiser, clairement, sans jamais appuyer ni faire de discours, la pièce touche de grands sujets – la vie, l’amour, la mort, l’art -, à travers les plus petites choses – un geste, un silence, des feuilles d’arbres, un flocon de neige.
Le spectacle, au texte riche, nous donne à voir Monsieur L’Homme qui, dans un passage à vide, est bousculé par une pièce de théâtre: Les Trois Soeurs l’interroge sur sa vie et, l’amenant à la regarder différemment, lui répond. D’un tableau à l’autre, on suit le protagoniste – au bureau, à la maison, dans la ville; on assiste à son désarroi, à ses interrogations, à ses rêveries. Des extraits des Trois Soeurs, intégrés à son histoire, tissent un lien étroit entre ses préoccupations et celles des personnages de Tchékhov. Le tout – c’est là une des grandes qualités du spectacle – glisse sans heurt, avec naturel.
La mise en scène, très fluide elle aussi, intègre changements de costumes et de décor au propos. En personnage principal, Jack Robitaille, tout comme l’ensemble des comédiens, joue en finesse, en retenue; le jeu est également nuancé, chaleureux, étonnant dans son apparence de spontanéité. Il est en même temps, par moments, très stylisé: ralenti, chorégraphié, au service d’impressions fugitives, oniriques malgré l’état de veille. Le tout crée, de l’intérieur, l’univers de Monsieur L’Homme; car c’est bien à travers son regard qu’on saisit les choses, ses idées et ses émotions, et leurs changements.
Le travail des concepteurs ajoute à cette richesse impressionniste: décor d’apparence simple, dont l’ingéniosité et les quelques secrets permettent d’évoquer différents lieux (Monique Dion); éclairages créateurs d’atmosphère, souvent très délimités et isolant Monsieur L’Homme dans son monde de réflexion, dans la position, à l’écart, de celui pour qui rien n’est plus à sa place (Denis Guérette); musique et effets sonores judicieusement choisis (Yves Dubois).
Mélange de gestes quotidiens, d’images poétiques et de symboles, jeu fin, texte dense, profonde humanité: c’est une pièce très belle qu’a réussie l’équipe du Théâtre Niveau Parking. Une pièce qui, peut-être, peut opérer sur chacun un effet comparable à celui des Trois Soeurs sur Monsieur L’Homme.