Alexander Baervoets : Les yeux grands fermés
Scène

Alexander Baervoets : Les yeux grands fermés

Avec la création de Blind, le chorégraphe belge ALEXANDER BAERVOETS cherche à retrouver l’état pur du mouvement en dépouillant la danse d’influences externes. Une intéressante mais utopique quête d’authenticité "à l’aveuglette"…

La danse est passée, depuis le début du 20e siècle, par tant de périodes transitives marquées par d’importants changements qu’aujourd’hui, il est pratiquement devenu essentiel, lors d’un processus de création, de se questionner sur la nature profonde de cette danse. Mais aussi, sur les raisons qui nous poussent à vouloir continuer de créer à partir de ce médium corporel, malgré les efforts incommensurables et la discipline d’acier dont on doit faire preuve pour continuer de pratiquer ce métier souvent ingrat, mais ô combien vital pour ceux qui l’exercent…

Alexander Baervoets, qui nous présente en première mondiale sa pièce Blind, s’est penché sur la question du corps dansant et de ses paramètres sans cesse à redéfinir. Dans le contexte actuel, hautement médiatisé, la danse est plus que jamais influencée par un nombre presque infini d’éléments qui lui sont extérieurs. Cela ne semble pas plaire à l’ensemble des chorégraphes. Mais peut-on passer cette danse au tamis pour qu’elle retrouve une structure qui lui est propre? Si oui, à quoi ressemblerait un tel type de structure?

Le chorégraphe d’origine belge cherche à retrouver ce fondement inaltéré en délestant la danse de toute intention de narration, de théâtralisation et de signification. Ceci, afin de libérer les danseurs et les spectateurs du joug de la codification et de la répétition qu’on retrouve inévitablement, aussi minimes soient-elles, à l’intérieur d’une structure chorégraphique – et je dirais même de l’oeuvre entière d’un chorégraphe. Dans le but de provoquer ce hasard asémantique continuellement renouvelé, Baervoets se sert de l’improvisation.

Pour ce projet, il a fait appel à deux experts montréalais en la matière: Andrew Harwood et Lin Snelling. Il s’agit d’un processus de création qui s’est déroulé sous forme intensive, à trois, les yeux fermés. Les séances d’improvisation se sont étalées sur six semaines seulement. Cette recherche d’authenticité "à l’aveuglette" ressemble beaucoup à la technique du Mouvement Authentique, encore très peu connue sur notre territoire, mais pas moins efficace pour autant. Une technique utilisée en création pour trouver, entre autres, une manière de bouger qui soit propre à un interprète.

Mais même si ce procédé nous fait arriver, au bout du compte, à quelque chose qui puisse sembler dénué de toute influence extérieure, il n’en reste pas moins que le caractère d’un individu, aussi profond soit-il, est modelé par ce qui l’entoure. Or, de la même manière que l’objectivité est une fiction, ce rêve d’un retour à l’état pur du mouvement semble parfois relever de l’utopie. Car tout porte à croire que l’évolution de toute chose soit survenue par un croisement de divers éléments qui étaient, au départ, étrangers les uns aux autres. Et que cet effet de "contamination réciproque" soit à la base de la formation de notre subjectivité. Dans cet ordre d’idées, je me pose cette question: pourquoi continue-t-on encore à croire à cet "Éden de la danse"? A-t-il non seulement déjà existé, ou est-ce le fantasme de quelques nostalgiques un peu trop puristes?

Notez que ces interrogations n’enlèvent rien au travail d’Alexander Baervoets, car cette recherche d’une danse sans influence, à l’ère des hyperliens, de la globalisation et de l’uniformité, est une entreprise titanesque qu’il faut encourager, non parce qu’elle est possible, mais parce qu’elle permet de rééquilibrer les tensions… et de se poser toutes ces fichues questions qui font avancer notre réflexion sur la danse et sur la société dans laquelle elle s’inscrit.

Les 29 et 30 avril
Au Studio de l’Agora

À surveiller
Au Studio 303
Afin de poursuivre cette réflexion sur l’art actuel hautement influencé par le multimédia, je vous propose d’aller voir, les 2 et 3 mai, l’événement Mutilation numérique. Au menu: deux créations où la danse sera accompagnée par le théâtre, la musique, la vidéo, la performance et les ordinateurs… Il s’agit de Z mais W – XXX = Water, de Luc Boisclair et de Molotov?, de François Daigle. Il est à noter que pour cet événement, la partie dansée sera assumée par Isabelle Marjorie et Lily Thibodeau. Pour plus d’information, visitez le site www.boikler.com/mutilationnumerique.

À Tangente
Toujours dans le même sens, l’influence de la masse est au rendez-vous, du 24 au 27 avril, avec l’oeuvre En masse, d’Andrew Forster et Suzanne Miller. Cette création se veut une étude de la dynamique de foule à travers laquelle les concepts d’anonymat et de déresponsabilisation prennent souvent une ampleur alarmante. Ce projet multidisciplinaire sera incarné par près d’une centaine d’individus, danseurs et non-danseurs. Pour en savoir davantage, consultez le site www.reluctant.ca/enmasse.